Deux ans après la promulgation de la loi Taquet, Christophe Daadouch, docteur en droit, formateur auprès de travailleurs sociaux fait le point sur les nombreuses difficultés de la protection à l’enfance. Il alerte notamment sur les risques d'une libéralisation du secteur. Interview.

Dans votre ouvrage "Protection de l’enfance. Un droit en mouvement " (Éditions Berger Levrault), paru fin mars 2023, vous écriviez que le retard dans la publication des décrets de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants est le signe d'une "faible volonté gouvernementale" de rendre effective la loi Taquet. Deux ans après son entrée en vigueur, quelle est votre analyse ?

C.D. Voilà une loi, et c'est un cas assez rare, où l'exécutif ne met pas en œuvre un certain nombre de dispositions. Les décrets d’application de la loi devaient être publiés dans les meilleurs délais. Or, deux ans après, 7 à 8 décrets extrêmement importants sont encore attendus. Il faudrait peut-être envisager un recours contre l'État. En 2022, le président Macron avait annoncé que la protection de l’enfance serait une de ses priorités. Pourtant, il n'y a pas de portage politique. À aucun moment l'enfance en danger est un sujet dans les discours du chef de l’État ou du Premier ministre. Le drame de cette adolescente confiée à l'ASE retrouvée pendue dans sa chambre d'hôtel n'a pas fait réagir politiquement. La protection de l'enfance n'est pas un enjeu électoral contrairement, par exemple, aux politiques publiques en matière de handicap.

Le rapport de Bernard Bonne, publié en juillet 2023, faisait un constat assez alarmant de la non-application de la loi Taquet mais également des deux autres grandes lois de la protection de l'enfance, de 2007 et 2016.

C.D. Les pouvoirs publics ont fait le choix de la décentralisation de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et depuis on constate la libre administration des collectivités locales. Chaque Département se saisit de la loi comme il veut, sans qu'il n'y ait de sanctions au non-respect de la loi. Là est le nœud du problème. Quand des Départements prennent des délibérations pour ne plus accueillir, en toute illégalité, les mineurs isolés étrangers, il n'est pas normal que ce soit aux associations de défense des droits des étrangers telles que le Gisti, la Cimade, la Ligue des droits de l’homme d’attaquer devant la justice ces décisions. J’attends encore le positionnement des préfets des 5 départements concernés pour faire respecter la loi ! On n’a pas non plus entendu les associations de protection de l’enfance locales. Dans un État de droit, quand une loi est votée, il doit y avoir des sanctions si elle n’est pas appliquée. Des bâtons et des carottes. Dans le champ de la protection de l’enfance, qui peut contester le non-respect de la loi ? Les familles ? Elles sont très isolées, pas du tout fédérées ou représentées. Les associations ? Elles gèrent le dispositif, sont gestionnaires d'établissements, et n’osent donc pas monter au créneau face aux départements. Les avocats ? Il y en a très peu en assistance éducative, le champ est peu investi. Mais le fait que la présence de l'avocat ne soit pas obligatoire en assistance éducative est regrettable car il pourrait soulever, à l'occasion des audiences, les manquements dans la prise en charge de l'enfant. Malheureusement, le champ de la protection de l'enfance dispose de très peu ou pas de garde-fous. C'est symptomatique. Et quand il n'y a pas de garde-fous, on prend de mauvais plis.

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