Alors que la Cour de cassation éclaire, dans un avis du 14 février 2024, la qualification juridique du "placement éducatif à domicile", Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) revient sur les ambiguïtés de cette mesure.

Pourquoi le dispositif de placement éducatif à domicile (PEAD) qui n'a pas de réelle base légale est-il aussi développé par les départements ?

Jean-Pierre Rosenczveig. Il y a plusieurs explications et sûrement des nuances à apporter territoire par territoire. Le raisonnement de départ était qu'il fallait savoir préparer l'accueil d'un enfant en institution, en famille d'accueil et qu'il ne fallait pas le faire - sauf en cas d’urgence absolue - d'une heure à l'autre. Un temps de transition était nécessaire entre la décision de justice et sa déclinaison vers une institution. Et à l'inverse, il y avait des cas dans lesquels il fallait préparer un retour de l’enfant à la maison. D’une mesure qui devait être a priori exceptionnelle, on a effectivement dérapé, décliné vers un dispositif en soi. Les appels d'offres pour mettre en œuvre des services de placement à domicile se sont multipliés dans les départements. Certains conseils départementaux ont vu dans le placement à domicile le fait de pouvoir éviter la prise en charge physique d'un enfant en le maintenant chez lui, mais avec un poids juridique plus important qu'une simple action éducative en milieu ouvert (AEMO). Dans le cadre de l’AEMO, l'autorisation est donnée aux travailleurs sociaux de suivre une situation et l'obligation est faite aux parents d'être en relation avec ces travailleurs sociaux et notamment de leur ouvrir la porte. Mais l'AEMO n'emporte aucun droit sur l'enfant à l’exception d’un droit d'influence. Le placement à domicile est une étape supplémentaire, puisque les services - qui ont prôné ce dispositif - ont le mandat de suivre juridiquement l'enfant, de se préoccuper de l'enfant, voire même de décider de son lieu d'hébergement, qui peut être le domicile parental. Le concept de placement à domicile signifie aux yeux des départements qu'ils avaient plus de pouvoir sur l'enfant qu'à travers une simple mesure d'AEMO, y compris d'une AEMO renforcée. En effet, l'AEMO renforcée autorise le départ physique de l'enfant de son domicile qu’exceptionnellement et sur une période très contrainte. Le placement à domicile a donc rassuré les services de l'aide sociale à l'enfance, en leur donnant le sentiment qu'ils avaient prise 24 heures sur 24, en urgence s'il le faut, sur la vie quotidienne de l'enfant, car le dispositif leur donne la possibilité de décider de retirer l'enfant du domicile parental en passant outre à tout obstacle.

Cet article vous intéresse ? Abonnez-vous pour lire la suite

Abonnez-vous maintenant