Après avoir lancé une pétition en ligne pour "sauver la protection de l'enfance", Jean-Pierre Rosenczveig appelle les acteurs à porter plainte contre les pouvoirs publics pour "mise en péril et abandon d’enfants". Retour avec l'ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny, membre du CNPE sur les enjeux du secteur.

Mini-bio. Jean-Pierre Rosenczveig est ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et co-président de la Commission "Enfances, familles, jeunesses" de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss).

Vous appelez les acteurs de la protection de l'enfance à engager une plainte "contre l’État et les deux tiers des conseils départementaux" auprès du procureur de la République pour "mise en péril et abandon d’enfants". Cette démarche est-elle strictement symbolique ? Quel en est l'objectif ?

Jean-Pierre Rosenczveig. L’enjeu de cette démarche n’est bien évidemment pas d’aller devant un tribunal mais de contribuer à faire bouger les choses, à engager une prise de conscience générale. Ne pas exécuter une mesure quand un enfant est en danger est une violence. Laisser des enfants à leur sort, cela s’appelle de l’abandon. Il existe des histoires qui pourraient illustrer très concrètement les innombrables défaillances du dispositif de protection de l’enfance. Les pouvoirs publics frisent la responsabilité morale et politique mais également la responsabilité juridique. Dès 2018, les juges des enfants du tribunal de Bobigny, [premier tribunal pour enfants de France, ndlr], relayés par 250 magistrats, affirmaient que les mesures de protection n'étaient pas exécutées. A Bobigny, par exemple, il faut actuellement un an à un an et demi pour qu’une mesure d’AEMO (action éducative en milieu ouvert, ndlr) soit exécutée. La crise de la protection de l'enfance va revenir aux pouvoirs publics en "effet boomerang". Quand il y aura deux ou trois drames qui feront la une du journal de 20 heures, ce sera difficile à assumer par la ministre ou par les conseils départementaux concernés.

Vous écrivez que l’État et des conseils départementaux sont "complices par désintérêt".

J-P.R. L’État et les conseils départementaux doivent cesser de se renvoyer la balle et travailler en co-responsabilité. Les lois de décentralisation ne disent pas que la protection de l’enfance relève des Départements. Elles disent que le Département est en première ligne mais l’État a des responsabilités sur les services qui sont de sa compétence propre (service social scolaire, service de santé scolaire, psychiatrie infantile, handicap). Au nom de la collectivité nationale, l'État doit assurer une péréquation. Sur l’ensemble du territoire, par-delà les politiques spécifiques, il a en charge de garantir une égalité à l’accès aux droits. C’est le rôle de l’État de rééquilibrer des politiques territoriales qui peuvent être inégalitaires. Or, l'État a complètement oublié cette partie du contrat et les Départements n’étaient pas mécontents puisqu’ils ont eu ainsi la paix.

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