En Ile-de-France, 1,3 million de personnes vivent en situation de mal-logement. Familles monoparentales, enfants et jeunes précaires sont les premiers touchés par une crise structurelle qui fragilise des droits essentiels et bouleverse des vies, alerte la Fondation pour le logement des défavorisés.

Région la plus peuplée de France avec 12,3 millions d’habitants, l’Ile-de-France concentre près de 19 % de la population nationale. Elle attire chaque année environ 28 000 nouveaux ménages, mais elle est aussi le territoire dans lequel la crise du logement est la plus sévère.

Selon la « Synthèse de l’éclairage régional 2025 » publiée par la Fondation pour le logement des défavorisés, publiée le 13 octobre, 1,3 million de personnes y vivent en situation de mal-logement et près de 3 millions sont en grande fragilité vis-à-vis du logement.

L’absence de domicile personnel reste l’un des visages les plus inquiétants de la crise : en Ile-de-France, 125 600 personnes sont concernées en 2025. La dernière Nuit de la solidarité a permis de recenser 4 275 personnes sans abri, dont 3 507 à Paris et 768 dans trente communes de la Métropole du Grand Paris. Chaque soir, près de 2 000 personnes demeurent sans solution, malgré leurs appels au 115 – un numéro que 70 % des personnes rencontrées disent ne plus composer, faute de réponse. En 2023, 347 personnes sont mortes dans la rue en Île-de-France.

Les familles monoparentales sont en première ligne face à la crise sociale. Leur nombre a bondi de 22,6 % entre 2011 et 2021, un signe de leur poids croissant dans la société. Faute de solutions, beaucoup vivent dans des logements trop petits ou insalubres, ou sont reléguées pour de longues périodes dans des hôtels sociaux. La précarité s’y installe durablement : en 2024, près de 30 % des ménages hébergés à l’hôtel y résident depuis plus de cinq ans, contre 14 % en 2015. Dans un contexte où 888 000 ménages sont en attente d’un logement social pour à peine 65 000 attributions, soit 93 % de demandeurs sans proposition, l’incertitude est devenue la norme. « On survit… c’est une dépression constante, notre vie n’avance pas », confie une mère. « Quand on vit sous le seuil de pauvreté, on doit choisir : la santé ou la nourriture ? » Une autre raconte : « Le logement est délabré, on ne peut inviter personne chez soi. »

« Tout ce que me disent mes enfants, ça me rend malade, je n’arrive pas à leur donner une meilleure vie »

Des enfants dans des logements indignes

Près de 400 000 Franciliens vivent dans des logements qui ne remplissent pas les critères de base : absence d’eau courante, de douche, de chauffage ou de coin cuisine. En 2021, 21,1 % des ménages franciliens vivaient dans un logement trop petit, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Ce taux atteint près de 30 % chez les locataires. Entre 2021 et 2025, les situations de surpeuplement accentué ont augmenté de 8 %. Aujourd’hui, 977 685 personnes, dont de nombreux enfants, vivent dans des conditions de logement très difficiles, marquées par la privation de confort ou la suroccupation. Les conséquences sur les plus jeunes sont profondes. « Tout ce que me disent mes enfants, ça me rend malade, je n’arrive pas à leur donner une meilleure vie. » Ces conditions de vie creusent les inégalités dès l’enfance, fragilisent la santé et pèsent lourdement sur la scolarité. Dormir à plusieurs dans une seule pièce, faire ses devoirs sur un lit ou manquer d’espace pour jouer laisse des traces profondes. Dans ces logements surpeuplés, l’étroitesse des murs devient un frein invisible à l’avenir des enfants.

Jeunes précaires : l’autonomie empêchée

Les jeunes Franciliens voient leur autonomie retardée. Ils quittent le domicile parental deux ans plus tard que dans les autres régions, faute de logements abordables. La mobilité résidentielle a reculé : 11,3 % des Franciliens ont emménagé dans l’année en 2021, contre 13 % en 1999. Dans le parc social, elle tombe à 6,6 %, le taux le plus bas de France.

L’accès au parc locatif privé est extrêmement restreint : moins de 5 % des salariés dits de « première ligne » peuvent louer un logement adapté à Paris. En vingt ans, les prix des appartements ont augmenté 4,5 fois plus vite que les revenus et les loyers deux fois plus vite. À Paris, moins de 6 % des couples sans enfant locataires du parc privé ont la capacité d’acheter un appartement, un pourcentage quasi nul pour les locataires du parc social.

Pour beaucoup, l’attente d’un logement devient interminable. « Après 20 ans d’attente… on en rigole, on n’y croit plus », raconte un demandeur. D’autres témoignent du sentiment d’être écartés : « Quand je vois 800 candidatures pour un logement… ils n’ont pas examiné toutes ! » Malgré tout, certains gardent espoir : « Je dois garder le cap ! Un jour ou l’autre, ça va se dénouer. »

Droits fragilisés et sentiment d’injustice

La crise du logement ne se limite plus à un manque d’offre : elle devient une crise des droits. En 2023, seuls 15 % des ménages reconnus prioritaires au titre du Droit au logement opposable (DALO) ont obtenu un logement dans le délai légal de six mois. 49 000 ménages restaient sans solution, et plus de 20 % des demandeurs attendent depuis plus de cinq ans.

La production de logements sociaux s’effondre : 17 722 logements ont été agréés en 2024, deux fois moins qu’en 2016. Pourtant, deux tiers des demandeurs disposent de revenus inférieurs au plafond PLAI (prêt locatif aidé d’intégration), c’est-à-dire le niveau de ressources ouvrant droit aux logements très sociaux destinés aux ménages les plus modestes. À peine un tiers des logements produits relèvent de cette catégorie. Entre 2012 et 2023, plus de 41 000 logements PLAI ont disparu.

Les difficultés financières s’aggravent. En 2024, 20 289 ménages ont saisi la Banque de France pour surendettement (+10 % en un an) et les expulsions locatives ont atteint un record avec 8 106 procédures. Le nombre de bénéficiaires d’aides personnelles au logement a reculé à 1 014 028, soit 100 000 de moins qu’en 2020, pour une aide moyenne de 246 euros par mois. Le sentiment d’injustice grandit. « Ils vous punissent, ils vous condamnent ! », déplore un demandeur après avoir refusé un logement jugé inadapté.

La Fondation pour le logement des défavorisés alerte : cette crise met à l’épreuve les principes de solidarité, d’égalité et de dignité. Elle appelle à faire de l’expulsion une exception et à garantir des solutions adaptées aux familles, aux enfants et aux jeunes précaires.


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