En 2017, 1136 suicides forcés ont eu lieu dans les 27 Etats membres de l'Union européenne, dont 209 en France. Des victimes qui ne sont pas encore comptabilisées dans le nombre des féminicides.

Selon les estimations d’un rapport du Projet européen sur les suicides forcés, remis en novembre 2021 à la Commission européenne, 1 136 femmes se sont donné la mort en 2017 dans l’Union européenne à cause de violences psychologiques répétées de leur conjoint ou ex. En France, le nombre s’élèverait à 209 femmes poussées au suicide.

Yaël Mellul, ancienne avocate pénaliste spécialiste des violences conjugales qui fut également coprésidente du groupe de travail coprésidente du groupe de travail " Violences psychologiques et emprise", lors du Grenelle contre les violences conjugales, à l’automne 2019, définit le suicide forcé comme étant « l’aboutissement des violences psychologiques (humiliations, insultes, isolement, chantage, etc…) exercées sur la victime. La victime se suicide comme un acte ultime de libération de toutes les souffrances endurées, mais aussi parce que la honte et la culpabilité deviennent insupportables.»

D'après une étude publiée en 2007 par Psytel, 13 % des suicides seraient en lien direct avec des violences conjugales.

Pour le groupe de travail composée de la coopérative d'experts indépendants Psytel et de Yaël Mellul, en prenant en considération ces suicides forcés,  « c’est donc près d’une femme victime par jour que font les violences au sein du couple en France en 2017, et non une tous les trois jours, comme habituellement rapporté si l’on considère les seuls féminicides ». Les auteurs du rapport ont  déterminé le pourcentage de tentatives de suicide attribuables aux violences au sein du couple  à «11% ». D'après une étude publiée en 2007 par Psytel, dans le cadre du programme Daphné financé par la Commission européenne, 13 % des suicides seraient en lien direct avec des violences conjugales.

Comment définir ce taux de suicides forcés ? « Les études portant sur le lien entre violences au sein du couple (VSC) et suicides ou tentatives de suicide (TS) ou pensées suicidaires sont très rares et donc a fortiori le chiffrage des suicides forcés de femmes victimes de VSC qui est de fait inexistant », reconnaissent les experts. Le rapport fait donc la synthèse des études sur le lien entre violences au sein du couple et suicide ou tentative de suicide. Il prend notamment en compte les résultats de l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) sur les violences sexuelles datant de 2015, et dans laquelle une femme sur 200 indique avoir déjà fait une tentative de suicide en raison des violences psychologiques qu'elle a subies, « soit quatre fois plus que les femmes ne déclarant pas de violence ».

La moitié des femmes qui font l’objet d’une hospitalisation en psychiatrie souffre de violences de la part leur partenaire.

Les experts rappellent également l’impact des violences conjugales sur la santé mentale des femmes victimes. « Tout d’abord, il est important de noter que la moitié des femmes qui font l’objet d’une hospitalisation en psychiatrie souffre de violences de la part leur partenaire. En outre, le risque de syndrome post‐traumatique et de dépression paraît être plus important dans des contextes de violences conjugales que de violences sexuelles subies dans l’enfance. Il en est de même en ce qui concerne la consommation de psychotropes, laquelle est très élevée chez ces femmes victimes. Elle est, en effet, 4 à 5 fois plus importante comparativement à la population générale. Enfin et plus fondamentalement, en conséquence des précédents éléments, elles feraient 5 fois plus de tentatives de suicide comparé à la population générale », égrène le rapport. Et d’ajouter : « Le rapport contient bien d’autres données utiles, mais on retiendra deux constatations essentielles : 17,9% des femmes en couple ou récemment séparées déclarent avoir subi au moins un fait de violence psychologique dans les 12 derniers mois. Ces faits peuvent être multiples (dans 30 % des cas) et fréquents (dans 31 % des cas). Par ailleurs, les déclarations de violences physiques et sexuelles sont toujours associées aux déclarations de violence psychologique ».

« Nous sommes conscients que ce mécanisme de chiffrage n’est pas scientifiquement assuré, mais qu’il conduit à un « ordre de grandeur raisonné », note le rapport. Le groupe de travail recense plusieurs pistes « pour améliorer la robustesse » de la méthodologie. Il propose que soient menées des études approfondies et spécifiques en France et dans d’autres Etats membres sur le lien existant entre violences au sein du couple (VSC) d’une part et tentatives de suicide d’autre part « pour mieux éclairer, comprendre, chiffrer et prévenir les suicides forcés ».
Les rapporteurs appellent à « relever systématiquement les données concernant les VSC possibles dans les enquêtes de police ou de gendarmerie post suicide, tout en « genrant » bien entendu les données recueillies ». Objectif ? Systématiser les procédures d’autopsie psychologique pour mieux approfondir les causes des suicides. Les experts soulignent également l’importance de sensibiliser et former les personnels de première ligne (policiers, gendarmes, pompiers, personnels des urgences) à l’existence et à la détection des tentatives de suicides en lien avec les violences au sein du couple.

Reconnaissance pénale en France

La France est le premier Etat d’Europe à reconnaître le suicide forcé chez les victimes de violences conjugales. Dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, organisé à l’automne 2019, la question de la reconnaissance pénale des suicides forcés avait été ardemment défendue par Yaël Mellul. Le comité d’experts avait alors déjà estimé que 217 femmes s’étaient donné la mort en 2018 à cause de violences psychologiques répétées de leur conjoint ou ex.

Le Grenelle des violences conjugales avait proposé d'introduire dans le code pénal une nouvelle circonstance aggravante pour sanctionner les personnes à l'origine des suicides forcés.

Ainsi, la loi du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales, votée à la suite du Grenelle des violences conjugales, réprime le suicide forcé comme circonstance aggravante du harcèlement moral, ajoutée au délit de harcèlement moral sur conjointe ou conjoint. Les textes punissent désormais « le fait de harceler son conjoint par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie par une altération de sa santé physique ou mentale ».

Une sanction de dix ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende est prévue quand ce harcèlement conduit au suicide de la victime, selon l'article 222-33-2-1 du Code pénal. « En pratique, ce lien de causalité risque cependant d'être difficile à établir, le suicide étant toujours d'origine multifactorielle. Il est donc possible que les condamnations sur le fondement de cette nouvelle disposition demeurent peu nombreuses. Au-delà de sa stricte fonction répressive, le droit pénal assume toutefois aussi une fonction « expressive » ou « socio-pédagogique », ce qui peut justifier d'ajouter cette précision qui vient souligner les enchaînements tragiques qui peuvent se produire entre harcèlement et suicide. », avait mis en exergue le Sénat lors des débats.

Yaël Mellul milite désormais pour faire reconnaître les suicides forcés dans la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à égard des femmes et la violence domestique.