Billet de Jean-Pierre Rosenczveig, Magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), publié le 22 janvier sur son blog.

Couramment et rapidement, surtout trop simplement, on est conduit à parler de fiasco judiciaire s'agissant de ce qui est appelé et qualifié de l’« Affaire d'Outreau », cette histoire qui a agité la France de 2004 à 2015 où douze enfants accusaient leurs parents et des voisins de les avoir violentés sexuellement.

De fait comment ne pas être choqué d'avoir vu certes quatre personnes condamnées pour leurs crimes, mais treize autres, tenues finalement pour innocentes, supporter trois longues années d'incarcération provisoire avec la souffrance que déjà constitue cette privation de liberté mais aussi tous les autres effets sur leur vie ?  L'une s'est suicidée, d'autres ont tout perdu y compris par-delà leur honneur leur environnement familial. Comment ne pas fustiger cette justice injuste qui a choqué et indigné le pays ?

Certes, non seulement les innocents ont été acquittés, mais fait exceptionnel, dans la foulée l’Etat, via le ministre de la Justice a admis les défaillances de son institution et via le Parlement a essayé de tirer les leçons des erreurs commises à travers une commission d’enquête très médiatisée où les protagonistes ont été amenés, fait rarissime, à rendre compte de leurs pratiques.

Au final, si je puis me permettre l'expression dans une affaire aussi dramatique, telle une chatte, la Justice est retombée sur ses pattes. Elle a condamné sévèrement les coupables - le couple Badaoui et leurs voisins - ; puis, en appel, elle a acquitté ceux qui avaient été à tort mis en cause notamment par les accusations de certains enfants et condamnés en première instance. Pour autant il serait incongru d'en rester là et d'oser affirmer qu'il faut purement et simplement tourner la page sur une affaire qui aura été résolue en mobilisant les différents recours qu'offraient la loi. Tel n’est pas le propos ici.

Non seulement des dysfonctionnements réels ont été mis en exergue dans la gestion de cette procédure, mais si fiasco il y a eu, il n’est pas que judiciaire. Qui plus est, et là est le vrai sujet d’actualité, on ne peut pas négliger qu’aujourd'hui encore cette affaire a un impact sur la justice rendue au quotidien aux enfants qui allèguent avoir été victimes de violences sexuelles. Les témoignages sont nombreux sur le fait qu’à l'audience, sinon en délibéré, une sérieuse réserve   « Outreau » sur la crédibilité de la parole des victimes en général, des enfants en particulier, en l'absence de faits objectifs et palpables ou de témoignages sur les circonstances des violences alléguées. Les enfants d’Outreau ont menti retient-on en gommant ou oubliant les défaillances des adultes ; La parole des enfants, de tous les enfants, notamment des plus jeunes en serait aujourd'hui définitivement disqualifiée !

Toutes ces assertions doivent être revisitées sereinement.

Bien sûr la justice a initialement gravement dysfonctionné, mais d’autres institutions portent leur part de responsabilités. Comme le barreau qui a mis du temps avant de mobiliser ses ténors par-delà les avocats-stagiaires envoyés en première intention et venus assurer la défense des mis en cause innocents dans une affaire tenue initialement pour sordide et sans envergure. Comme les médias qui ont rapidement adhéré à la thèse de ceux qui voyaient dans l'affaire d'Outreau l'une des tentacules de la pieuvre belge Dutroux dont on sait les abominations meurtrières infligées à ses victimes. Il a fallu du temps avant que des enquêtes journalistiques dignes de ce nom se développent. Souvenons-nous aussi de ces polémiques sur la qualité de certaines expertises judiciaires quand tel notamment a pu alléguer publiquement qu'il ne fallait pas s'attendre à plus "quand on était payé comme une femme de ménage" laissant à penser que la qualité d'une expertise dépendait de sa rémunération. De fait, nombreux sont ceux qui ont à balayer devant leur porte.

La justice elle-même a mis du temps avant de prendre la mesure de l'ampleur et des erreurs dans tous les sens du terme de ses acteurs dans le dossier dit Outreau. On peut mettre en cause et apparemment à juste le titre les personnalités et les compétences de certains des magistrats de Boulogne-sur-Mer en charge de la procédure, étant rappelé qu’une soixantaine de magistrats sur le ressort de la Cour d’appel ont, sur la durée, plus ou moins eut à connaître du dossier. Reste que par-delà les personnes, des défaillances institutionnelles sont évidentes.

Ainsi comment la hiérarchie du tribunal qui a en charge la désignation des magistrats instructeurs a-t-elle pu laisser seul un juge d'instruction, qui plus est fraîchement sorti de l’ENM [Ecole nationale de la magistrature], mener les investigations à charge et à décharge quand aujourd'hui deux, sinon trois juges, seront nommés dans ce type de dossier ? Dans le microcosme du (petit) Tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer où l’on partage traditionnellement beaucoup de temps de vie, nul ne pouvait ignorer la charge qui pesait sur ce jeune collègue, sinon se faire un point de vue sur sa personnalité. Pour sa part, le parquet – à Boulogne et à la Cour d’appel via le parquet général –, c'est le moins qu'on puisse dire n'a pas joué son rôle dialectique avec le siège.   Et que dire des contrôles de la chambre de l’instruction avec des magistrats réputés de qualité et sereins ? Apparemment, aucun de ces magistrats expérimentés ne s'est interrogé sur le fait que pouvaient être mis en cause dans la même affaire et crier à leur innocence treize personnes - leur nombre les a finalement sauvés ! -, sans lien entre elles, sans antécédents judiciaires ou a fortiori sexuels – un exemplaire de la revue Lui a été trouvé chez l’un d’entre eux - pouvaient être mises en cause sur des faits de cette nature qui, généralement, sont précédés de messages d’alerte plus ou moins évidents. Cette question aurait dû être posée, sinon dans les premiers temps, du moins à l'occasion de l'un des multiples recours qui ont amené la Chambre de l'instruction à intervenir. Il y avait matière à s’interroger sur le rôle de cette instance pour garantir la rigueur des instructions et réagir à des défaillances majeures.

Aujourd’hui l'essentiel n'est pas seulement de revisiter l'histoire, mais de s'attacher à l’actualité d'"Outreau" pour éviter de nouveaux "Outreau" et veiller à ce que justice soit rendue aux enfants à un juste prix

Bref, ceux qui quotidiennement, dans et hors l'institution judiciaire, contribuent à éviter qu'un dérapage individuel ne dégénère en défaillance institutionnelle ont été étrangement eux-mêmes défaillants !

Finalement dans ce dossier irrationnel où notamment l'acteur judicaire majeur - le juge d'instruction - était apparemment hors sol, subjugué par sa « cliente » principale et par l’idée d’avoir touché l’affaire du XX siècle, il aura fallu un acte fou pour que le cours de l’histoire se retourne, à savoir que l'un des accusés s'accuse proprio motu d'avoir tué un enfant et de l'avoir enterré dans son jardin.

On se souvient avoir vu à la télévision, derrière des bâches qui cachaient partiellement les travaux des excavatrices et autres engins retournant, en vain bien sûr, le terrain de la maison de cet homme. Un pari gagnant. Paradoxalement c'est alors que le discours d’innocence de ce mis en examen, et de ses coreligionnaires, a trouvé enfin du crédit : comment s’accuser d’un tel crime qu’on n’a pas commis, sinon parce qu’on n’a pas été entendu jusqu’ici ! La presse a pu alors jeter un autre regard sur l'affaire, des avocats chevronnés se sont présentés et la justice elle-même a été conduite à redresser la barre, sans doute la Chancellerie à s’interroger.

Tout cela pour dire que si l'affaire d'Outreau trahit et traduit des dysfonctionnements policiers et judiciaires majeurs avec des contre-pouvoirs institutionnels qui en l'espèce n'ont pas tenu leur rôle, pour autant les autres institutions et intervenants se devaient et se doivent toujours de balayer devant leur porte.

Aujourd’hui l'essentiel n'est pas seulement de revisiter l'histoire, mais de s'attacher à l’actualité d'"Outreau" pour éviter de nouveaux "Outreau" et veiller à ce que justice soit rendue aux enfants à un juste prix

Indéniablement l'affaire d’Outreau a enclenché un mouvement de balancier inverse à celui que nous avions engagé deux ou trois décennies plutôt, cautionné par la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Nous étions déjà quelques-uns - voir la création d'un collectif de quelques 145 associations - à souhaiter que l'enfant soit entendu sur toutes les affaires le concernant et pris en compte dans sa parole. En effet de longue date, le dicton populaire qui veut que « la vérité sort(e) de la bouche des enfants » restait combattu en droit par l'idée que l'enfant, l'infans du droit romain, était dans l’impossibilité d'exprimer un point de vue fondé et crédible. Comme la femme mariée jusqu'à la deuxième partie du 20e siècle l’enfant était tenu pour un incapable, nécessitant d’être assisté et représenté par ses parents. (1)

N'oublions pas que dans cette période encore les enfants pouvaient être présentés ostensiblement par certains psychiatres comme des séducteurs susceptibles de faire succomber des adultes. Sans compter le discours de ceux qui prônaient que les enfants avaient le droit à l'amour, sinon à celui qu’on leur apprenne et les aide à le faire comme des Gabriel Maztneff dont on sait de quelle admiration il jouissait pour le fait de « faire don de son corps » au développement des plus jeunes, même s’il ne cachait pas y prendre lui-même du plaisir. Rappelons au passage qu’il faudra attendre 2021, après les circonvolutions de 2018 de la loi Schiappa sur le consentement de l’enfant pour que la loi rappelle l’interdit criminel fait à l’adulte d’entretenir des relations sexuelles avec l’enfant de moins de 15 ans.

Pourtant le mouvement enfin enclenché pour s'attacher à prendre en compte la parole des enfants en justice avait conquis quelques avancées. Souvenons-nous de la bataille menée, partiellement gagnée, pour que le législateur reconnaisse sous le ministère de M. Malhuret (1987), mais seulement à l’enfant de plus de 13 ans, le droit d’être entendu dans le cadre de la procédure de divorce de ses parents. Et il a encore fallu attendre 2007 pour que le droit de l'enfant à être entendu par son juge soit enfin (quasiment) consacré par la loi, sous couvert que le magistrat n'estime pas qu'il n'y allait pas de son intérêt ou mobilise un collaborateur quand c’est un droit humain fondamental que tout justiciable qui le demande soit entendu par son juge ! Et l’enfant est une personne !

Restait posée la question de l'accompagnement de la parole de ses enfants via présence un avocat ou d'une tierce personne.  Il n'a pas été aisé d'obtenir dans le cadre de la loi du 6 juin 1984 que l'enfant puisse être accompagné de la personne de son choix dans ses rapports avec l’Aide sociale à l’enfance ; il a fallu attendre 1992 pour que la présence de l'avocat soit obligatoire en matière pénale dans le cabinet du juge des enfants. Et se pose encore aujourd’hui la question de rendre la présence obligatoire auprès de l’enfant de l'avocat en matière d'assistance éducative où pourtant se prennent des décisions susceptibles de faire grief : la loi du 7 février 2022 s’y est refusé, une nouvelle proposition de Mme la députée Goulet y tend, sachant qu'il ne suffira pas de voter une loi pour garantir l'effectivité de cette défense quand on n'arrive pas à mobiliser en nombre et financer des administrateurs ad hoc !

Et puis que dire de la portée accordée en justice à cette parole ? Elle est souvent minorée. Certes avec raison il est essentiel de ne pas reconnaître à l'enfant le droit de décider en tout et pour tout au risque de le conduire à des postures de toute puissance préjudiciable à son développement et sa socialisation ; de là à nier que l'enfant puisse exprimer une vérité, sinon sa vérité, il y a un pas !

Sur le sujet qui nous préoccupe des violences notamment sexuelles faites aux enfants nombre de constats et de préconisations avancées par les professionnels de terrain avait obtenu du législateur d’être consacrée à travers ce texte majeur qu’est la loi du 17 juin 1998 finalement portée par Élisabeth Guigou.  Ce texte a le souci d’une meilleure prise en compte de la parole de l'enfant victime d’infraction notamment dans le parcours judiciaire avec la présence d'un administrateur ad hoc qui lui-même désignait un avocat et déjà d'une tierce personne qui pourrait accompagner l'enfant sur l'ensemble de son parcours policier et hospitalier, disposition malheureusement peu mise en œuvre. Pour leur part, des policiers comme la capitaine Carole Mariage et le lieutenant Thierry Terraube, devenus enseignants au Centre de formation de la police nationale à Gif-sur-Yvette, s'étaient attachés à élaborer et à promouvoir, sur la base de leur expérience, une démarche passionnante permettant de recueillir de mieux la parole des enfants victimes. Un temps un millier de policiers avaient été formés sur la base du Guide publié par le Centre. Cet effort spécifique n'a pas été maintenu.

Dans le même temps, les gendarmes de la Réunion cautionnés par le tribunal de Saint Pierre avaient introduit en France la procédure MELANIE issue d'une démarche québécoise pour faciliter le recueil de la parole des enfants par les services de police avec un enregistrement audiovisuel susceptible de faire preuve de la réalité du propos tenu par le jeune peu de temps après la révélation des faits, mais aussi de lui éviter la réitération d'interrogatoires qui petit à petit pouvaient conduire à transformer le propos initial. La loi de 1998 a dépassé les résistances judiciaires de certaines cours d’appel pour la consacrer et l’encadrer.

Ces rappels contextuels et historiques ne sont pas inutiles au regard de notre sujet : plutôt que de fustiger les mensonges éventuels des enfants, ne nous faut-il pas veiller à hisser la capacité des adultes - professionnels ou non - à faciliter cette parole et à la décrypter ?

D'évidence certains enfants sont sous l’influence des adultes. A Outreau par loyauté ou par manipulation ils ont relayé pour certains des accusations qui n'étaient pas fondées. Mais n'oublions pas que plusieurs ont été réellement et d'évidence des victimes. Par facilité ou incompétence, les policiers enquêteurs, puis le juge d’instruction, ne sont pas allés plus loin s'agissant des faits qui eux étaient contestés. Ils auraient appliqué scrupuleusement les process mis en place au sein de leur institution que peut être l'affaire aurait pris et rapidement une tout autre tournure.

L’affaire d’Outreau a démontré que certes la loi était perfectible, mais que les dysfonctionnements observés ne tenaient pas dans la loi, mais aux processus développés sur le terrain, aux manques de compétence de certains professionnels.

Alors oui, il est certain aujourd'hui que l'affaire d'Outreau pèse encore sur les esprits dans l’univers judicaire. Pour autant la faute première revient, et il faut le dire clairement quand on serait tentés de commettre la même erreur, à ce que certains ont pu laisser à penser que des enfants ne pouvaient pas mentir. Comme tout un chacun un enfant peut mentir voire tout simplement se tromper. On va certes les entendre ; On va a priori être bienveillants et être enclins à les croire car il est rare qu’ils mentent, mais on ne se privera pas d’une approche critique de leur propos. Bien évidemment, dans l'immensité des situations les enfants, restituent une vérité factuelle qu’il nous faudra souvent interpréter. Pour autant comme pour toute personne auditionnée comme témoin ou victime dans une procédure pénale, a fortiori dans une procédure criminelle il revient aux policiers puis aux magistrats d'avoir non pas une posture suspicieuse, mais de « faire la preuve par 9 » sur ce qui est avancé,  de s'attacher certes à la personne qui parle, et en l'espèce d'avoir une meilleure culture de la psyché infantile et plus généralement des victimes, mais de tenir compte aussi de l'environnement, du contexte de la période où tous les faits ont été commis ou propos sont recueillis.

Quand dans les années 80 nous venions d'une période où la parole de l'enfant a été niée sinon ignorée, un certain discours bien-fondé comme celui de cette grande dame qu’était Marceline Gabel (3), soucieux de forcer la main aux résistances, mais mal digéré, a pu laisser à penser qu'il fallait s'abstenir de cette démarche critique, avec les risques de dérapages.

Une audition critique, ce qui ne veut pas dire suspicieuse ou malveillante, est de l'essence de la justice publique.  On ne peut pas, on ne doit pas en démordre si on prétend rendre justice. Il y va même de l'intérêt des enfants qu'il puisse être dit que leur parole a été pesée.

L'affaire d'Outreau est issue de ces dérapages. Ne réitérons pas aujourd'hui la même erreur en tombant dans un excès ou dans l’autre. Recherchons et trouvons le bon équilibre.

Déjà en rappelant aux professionnels qu’ils ont l'obligation, secret professionnel ou non, de tout mettre en œuvre, y compris en parlant, pour faire cesser les violences faites aux enfants qu'ils pourraient soupçonner sans nécessairement en avoir la preuve, mais encore de dénoncer les crimes et délits dont ils pourraient avoir connaissance.

Informons les enfants, mais aussi leur environnement - parents et membres de la famille, proches, enseignants, travailleurs sociaux – qu’à tout âge ils sont en droit de porter plainte c'est-à-dire de dénoncer de parler sur des faits délictueux ou criminels.

Formons les enfants à savoir dire Non à certaines pratiques ou des adultes tentent de profiter d'eux.

Ces préconisations, et bien d’autres, ne sont pas aujourd'hui. Peu ou prou certaines ont d'ores et déjà été prises en compte, mais on reste loin au final de ce qui devrait se faire. Dans les temps à venir - et d'ores et déjà nombre les propositions de loi fleurissent-, on avancera un flot de dispositions pour punir plus sûrement et sévèrement les auteurs de faits et pour mieux rendre justice aux enfants victimes y compris, à juste titre, par-delà leur majorité en sortant du carcan de la prescription pénale.

Pour autant la vraie question qui nous est posée et qu'il nous faut traiter dans le même temps est celle de la prévention première. Son terme politique est simple :  dans 10 ans y aura-t-il encore 5,5 millions de personnes qui affirmeront comme aujourd’hui avoir été victimes de violences sexuelles le temps de leur enfance, le plus souvent dans un contexte familial ou de proximité ? Dit autrement l'enjeu n'est pas seulement de mieux répondre aux 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, en les accueillent, en les croyant, en poursuivant et en condamnant leurs agresseurs avec des dispositions pénales ou civiles de nature à les empêcher de réitérer, mais de faire en sorte que d'autres enfants ne soient pas victimes de nouveaux prédateurs. Comment éviter 160 000 victimes chaque année ?

La démarche n'est pas aisée. Là encore, il faudra être serein et ne pas raconter n'importe quoi à l'opinion et jouer du menton. Malheureusement on ne pourra jamais éradiquer l'inceste ou les violences notamment commises sur mineur ; en revanche, on peut tenter d'en réduire sensiblement le nombre. A la hauteur désormais mesurée et communément admise de l'importance du phénomène qui ne peut plus être taxé de marginal, on voit bien que c'est un vrai débat de société au plus profond de la société. Il faut le maîtriser sans créer des fantasmes ou des phobies – tous les pères ne sont pas incestueux -.

Il passe en premier lieu par l’affirmation du statut de l’enfant qui comme toute personne – conf. Les violences faites aux femmes - doit être respecté dans sa personne, notamment dans son intégrité corporelle. On en est loin si on reprend le dossier français sur les châtiments corporels. Ensuite certaines précautions peuvent être prises pour rendre difficile, sinon impossible, des passages à l’acte, mais il faut surtout garantir que les agresseurs seront privés inéluctablement privés de la protection majeure dont ils ont pu trop souvent bénéficier, à savoir le silence de la victime.

Il ne suffit pas de mettre en place des réceptacles de cette parole capables de bien entendre et de l'interpréter ; il faut encore libérer la parole elle-même en s'attachant aux blocages qui existent encore la peur de l’agresseur, honte ou encore bien évidemment la crainte de n'être pas crue ou d'être il n'être pas cru ou encore tenu pour responsable. L’enfant doit savoir, avec les mots adaptés à son âge et sa personnalité, qu'il est des interdits que les autres, adultes ou non – trop d'enfants sont victimes d'enfants -, se doivent de respecter, notamment son intégrité physique et sexuelle. Il doit aussi savoir que celui qui ne respecte pas cet interdit est coupable quand sa victime est innocente et qu'il n'y a pas de honte à dénoncer l'insupportable. À l'inverse l'auteur potentiel doit être convaincu qu'il n’échappera pas à la publicité sur son comportement, au regard de ses proches sinon de la société, et bien évidemment à une sanction pénale ou civile.

L’affaire d’Outreau a démontré que certes la loi était perfectible, mais que les dysfonctionnements observés ne tenaient pas dans la loi, mais aux processus développés sur le terrain, aux manques de compétence de certains professionnels. A preuve dans l’affaire d’Angers, bien plus importante quant au nombre d'enfants victimes et de personnes mises en cause, la justice n'a pas supporté ces critiques dès lors que policiers, magistrats, avocats, experts, journalistes ont su tenir leur rôle.

Plutôt que de parler en boucle du fiasco de l'affaire d'Outreau (4) il est temps de s'attacher à ce qui a pu faciliter les passages à l'acte réels relevés et dans le même temps à réunir les conditions,  par-delà la loi, pour recruter et former les professionnels compétents avec le souci d'identifier des responsables qui nous permettent de nous dédouaner, pour investiguer et répondre aux violences mises en évidence et mener le débat en profondeur sur l'illégitimité de telles pratiques quand trop longtemps notre société a pu les cautionner. On voit bien à travers les résistances d'ores et déjà observées pour s'attacher aux causes institutionnelles de ces violences combien il nous faudra développer des efforts pour s'approcher du résultat.

(1)- Jusqu'en 1970 le rapport parent-enfant mineur était qualifié de puissance paternelle, encore aujourd’hui d’autorité parentale, que certains comme le droit non seulement des parents de battre leur enfant, mais encore d’en user sinon d’en abuser. Il a fallu attendre 2019 pour que France condamne le recours aux châtiments corporels, 28° Etat du Conseil de l’Europe à s’engager dans cette voie. Pour beaucoup encore l’enfant appartient à sa famille et donc à ses parents, y compris physiquement contrairement à ce que François Mitterrand affirmait en mai 1989 devant l’UNAF.

(2) - Depuis d’autres protocoles plus riches ont été adoptés au plan international et intégré en France.

(3) - Assistante sociale, enseignante, chercheuse, secrétaire générale de la Grande cause nationale de 1997 « Protection de l'enfance maltraitée », décédée en 2004.

(4) - La vérité veut aujourd'hui de rappeler que l'un des accusés acquittés a eu par la suite des ennuis judiciaires pour infractions sexuelles.


L’affaire d’Outreau La bande-annonce
Le récit de l’incroyable fiasco judiciaire qui aura duré 4 années de procédure et 2 procès pour arriver à l’acquittement de 13 personnes innocentes ayant fait 3 ans de prison. Disponible en intégralité à partir du 17 janvier 2023.

L'Affaire d'Outreau, Série documentaire (4x52min) d'Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini - Disponible en intégralité sur France.tv