Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), revient, dans son blog, sur les nombreux soubresauts qui agitent la protection de l'enfance.

 
Indéniablement la protection de l’enfance traverse une zone à hautes turbulences.

De longue date, elle est régulièrement interpellée sous les angles les plus variés. Ainsi on l’accuse de retirer arbitrairement des enfants à leurs parents, d’alimenter la population des jeunes errant dans nos centres-villes, de violenter les enfants confiés dans ses institutions, de négliger les parents, d’abandonner les enfants confiés dans le dispositif quand ils seraient adoptables sans avoir de réels projets pour eux, de coûte cher – 10 milliards d’euros l’an hors dépenses le personnel public pour la seule aide sociale à l’enfance (ASE) – pour un bénéfice relatif puisqu’au final nombre des enfants accueillis actuellement verront, affirme-t-on sans preuves, leurs propres enfants se retrouver placés. En d’autres termes elle ne serait capable de protéger les enfants en danger et de rompre la chaîne de l’exclusion.

Et dans ce dispositif, que dire de la justice aujourd’hui plus concentrée à traiter des jeunes qui mettent en danger la société pour être en conflit avec la loi que de se préoccuper de ceux qui sont en souffrance, oubliant les orientations majeures données en 1958 ? Combien de victimes de violence, notamment sexuelles, commises dans ou hors leur famille, dénoncent que justice ne leur a pas été rendue. Les enquêtes de police ne prospèrent pas ; les magistrats demeurent plus soucieux des prédateurs que des victimes. On multiplierait ces critiques. Elles sont généralement toujours fondées sur une part de vérité, mais ô combien excessive, à la hauteur de la souffrance de victimes qui s’estiment avoir été négligées, voire maltraitées et de l’ignorance de nombres de ceux qui portent des jugements péremptoires et simplistes.

La protection de l’enfance est perfectible et on s’efforce régulièrement de l’améliorer. Les lois se multiplient (2007, 2016, 2022 pour les dernières en date), mais leur application n’est pas toujours à la hauteur des aspirations, sinon des utopies, du législateur. Au point où un récent rapport du Sénat appelle à un moratoire législatif pour se concentrer sur la mise en œuvre des dispositions votées ces deux dernières décennies.[1] Pour autant, sur ce fond de critiques, plus ou moins fondées, injustes, excessives, la conjoncture est particulièrement délicate. Depuis un an, nombre d’opérateurs de terrain dénoncent l’embolie du dispositif. Les décisions judiciaires de retrait d’enfants, spécialement de très jeunes enfants, se multiplient qui, par ailleurs, sont loin, plus que jamais [2], d’être exécutées faute pour les services sociaux mandatés de disposer de la capacité nécessaire.

La nécessité d’accueillir de nombreux mineurs étrangers non accompagnés (MNA) explique, mais en partie seulement la difficulté actuelle [3]. Elle ne saurait masquer le fait que plus fréquemment que par le passé la justice est sollicitée pour prendre des mesures fortes dans des situations familiales tendues. Certains prétendent qu’il faut y voir les premiers bénéfices du plan « 1000 premiers jours » notamment avec le souci de repérer au plus tôt et au mieux les situations difficiles ; on peut aussi y voir le signe patent et l’effet attendu de l’échec dramatique du dispositif de protection médico-sociale qui, au plus près et au plus tôt, doit apporter l’étayage et le soutien aux familles en grande difficulté afin d’éviter des situations exacerbées. On se lasse de répéter depuis des années que tous les pans de ce dispositif sont en souffrance, voire au rouge : service social scolaire, service de santé scolaire, protection maternelle et infantile, psychiatrie infantile, pédiatrie, et bien évidemment Maison du handicap. 18 départements ont même supprimé le dispositif de Prévention spécialisée qui a pourtant pour objectif d’éviter à des jeunes en difficulté de basculer vers la délinquance au risque de nombre victimes. 

Force est aussi l’observer que des mesures d’accompagnement judiciaire pour les enfants demeurant à leur domicile ne sont pas mises en œuvre ou le sont avec un retard insupportable. Ainsi en Seine-Saint-Denis, il faut un an avant qu’une mesure de cette nature soit mise en œuvre. D’autres encore analysent cette multiplication des décisions judiciaires par le souci de juges des enfants, souvent jeunes magistrats, conscients des critiques supportées par la justice et l’exigence publique, d’appliquer un principe de précaution : à leurs yeux la « présomption d’innocence » du parent mis en cause (sic) doit désormais céder devant l’enjeu de protection ! [4]

En tous cas, les cris d’alerte se multiplient. Des départements n’hésitent pas à se dire dans l’impossibilité d’honorer leurs engagements financiers à l’égard des prestataires des services sociaux. [5] L’Assemblée des départements de France met en cause l’État qui, en n’assumant pas ses responsabilités concernant les MNA et en multipliant les exigences légales, a fait croître d’une manière sensible les charges des collectivités territoriales sans pour autant les compenser.
Dans ce contexte des appels se multiplient à des États généraux susceptibles de déboucher sur un plan Marshall c’est-à-dire à une mobilisation exceptionnelle pour la protection en France. Certains - nostalgiques ou pas - n’hésitent pas à vouloir renverser la table pour revenir à la centralisation de la protection de l’enfance faute pour les départements d’être en situation d’être capables de pouvoir exercer les responsabilités issues des lois de décentralisation de 1982-1984. [6]

Dans le même temps, force est de relever une pression sociale accrue et légitime pour venir rendre justice aux enfants violentés notamment sexuellement. Certes on n’a jamais ignoré cette réalité, mais on commence seulement à en mesurer l’ampleur quantitative et surtout de prendre conscience de leur gravité.
Ainsi on vient de réaliser grâce aux travaux l’INSERM [Institut national de la santé et de la recherche médicale ] que 5,5 millions de Français auraient été les victimes d’agressions sexuelles le temps de leur minorité dont 3 millions au sein de leur famille. Soit 12 % de la population adulte. Une paille ! Comment négliger ces chiffres ? Plus grave encore, sous la parole et le témoignage des victimes, on réalise l’impact que ces violences ont pu avoir sur le cours de leur vie. Quand il y a encore quatre décennies certains pouvaient affirmer qu’une bonne douche était de nature à répondre à un viol, nul ne pourrait aujourd’hui avancer une telle ineptie. Ainsi quand on entend des septuagénaires restituer en larmes ce qui leur a été infligé quand ils avaient une dizaine d’années dans des institutions religieuses ou dans leur famille. On appelle alors à une répression stricte à l’encontre de ces prédateurs. Et déjà, plus que jamais, on invite à la libération de la parole des victimes – cf à la dernière campagne « Brisons le silence » [7] de communication gouvernementale ! en cours –, mais pourra-t-on garantir que partout et en toutes circonstances cette parole soit reçue avec bienveillance, bien décryptée et qu’elle débouchera sur des réponses à la hauteur de l’attente et du besoin de justice des victimes. Mieux pourra-t-on faire en sorte que demain de nouveaux enfants ne soient pas victimes ?

On s’est appuyé trop longtemps sur leur engagement militant pour pallier les trous dans la raquette. Le filon de cette militance est aujourd’hui épuisé. Il va falloir mettre le prix pour retrouver des troupes.

Quelles ambitions pour demain ?

Dernière difficulté, mais majeure : dans ce même moment, comme l’ensemble des métiers de l'humain, le travail social traverse une crise majeure avec des professionnels plus que jamais en grande souffrance [8]. Beaucoup partent ; on peine à recruter des assistantes familiales ou des travailleurs sociaux. On paie ici comme dans les champs de la santé, de la police, de la justice, de l’éducation, une carence majeure de la puissance publique qui durant des décennies n’a pas su ou pas voulu reconnaître à la hauteur nécessaire ces acteurs (agents publics ou associatifs) de la mission de service public. Dernière illustration en date, le fait de ne pas avoir associé les travailleurs sociaux au sens large du terme au Grenelle du médico-social de l’après confinement. On s’est appuyé trop longtemps sur leur engagement militant pour pallier les trous dans la raquette. Le filon de cette militance est aujourd’hui épuisé. Il va falloir mettre le prix pour retrouver des troupes.

Cette crise est préoccupante. Sans ces femmes et ces hommes mobilisés au quotidien les pouvoirs publics sont démunis et ne peuvent que s’enfermer dans le chant de l’incantation et des promesses non tenues. Dès lors on mesure combien ces éléments fondamentaux ou encore conjoncturels impactent la qualité des politiques publiques déclinées concrètement sur le terrain et aujourd’hui contestées au point de nier le travail positif accompli malgré tout.

Des rendez-vous décisionnels apparaissent aujourd’hui incontournables. Non pas tant pour faire le diagnostic – nombre de rapports ou de notes convergents ont été écrits sur ce sujet – que pour rechercher des réponses sur le court, le moyen ou le long terme qui permettent de répondre aux situations délicates et douloureuse que des enfants et plus largement des familles peuvent rencontrer avec le souci au final de réduire sensiblement le nombre de ces situations. Il va revenir à l’État, aujourd’hui conscient de la mission régalienne qui lui revient, mais aussi de ses engagements internationaux, d’apporter des réponses après avoir réuni autour de lui les collectivités territoriales, mais aussi les intervenants des secteurs associatifs habilités opérateurs majeurs de ce dispositif afin de dégager les réponses qui s’imposent. Encore faut-il pour que cette rencontre se tienne et débouche sur du positif que l’État qui se veut mobilisateur donne des gages de sa propre capacité à assumer les responsabilités qui lui reviennent et qu’il a singulièrement délaissées comme vient de le lui rappeler l’Assemblée des départements de France. Que compte-t-il faire pour améliorer le dispositif social scolaire, la santé scolaire, la psychiatrie infantile ou les réponses à apporter aux enfants porteurs de handicap ? On voit bien qu’il lui faudra ici mettre la main au portefeuille et s’organiser pour s’inscrire dans la durée quand jusqu’ici il n’a fait preuve que de sincérités successives…

Reste que le très court terme conditionne l’existence à terme d’un débat serein sur des sujets d’une telle complexité mobilisant autant d’acteurs publics et associatifs, nationaux et territoriaux et d’approches aussi nombreuses – médicales, sociales, ethniques, culturelles etc. elle-même en mouvement comme l’apparition des neurosciences au demeurant controversée. L’incapacité d’assumer les missions actuelles et l’angoisse au regard de l’avenir ne permettent pas aujourd’hui une approche rationnelle des questions incontournables auxquelles nous sommes confrontés.

Deux pistes s’imposent d’urgence à l’État

Il lui faut déjà desserrer l’étau financier dans lesquels se trouvent les départements, mais aussi les associations prestataires de services. Sans méconnaître la conjoncture économique – mais on se souvient que le mythique taux des 3% a explosé sous les coups du COVID et du confinement – un financement exceptionnel doit être dégagé au bénéfice de l’enfance en souffrance. Les départements en difficulté doivent être aidés ; les associations généralement privées de fonds propres et dépendant de la commande publique doivent être rassurées sur leur devenir, notamment par des garanties bancaires et le développement de l’appel au mécénat.


Sans doute verra-t-on que l’enjeu est moins de recentraliser la protection de l’enfance que d’amener chacun, notamment l’État à assumer ses missions légales avec le souci d’articuler les responsabilités des uns avec celles des autres dès lors qu’on les aura clairement énoncées.


La crise des personnels [9] appelle à lancer un programme ambitieux de recrutement qui passe par une revalorisation des professions et une reconnaissance de leur mission sociale aux yeux des plus jeunes. Il faudra ici s’appuyer sur les IRTS [Instituts régionaux du travail social], mais également sur la formation-qualifiante que peuvent offrir les opérateurs de terrain. Les initiatives de ce genre doivent être soutenues ou facilitées. [10] Il convient déjà que ce programme produise ses effets de constituer une Réserve de la protection de l’enfance qui permettent d’offrir à ceux qui le souhaitent de rester en fonction pour les 5 ans à venir par-delà l’acquisition de leurs droits à la retraite. Ces deux conditions de base remplies on pourra alors se mettre autour de la table et aborder les difficultés réelles en revisitant l’histoire, mais également en comparant notre dispositif avec ceux qui peuvent exister dans des pays proches culturellement et économiquement. Sans doute verra-t-on que l’enjeu est moins de recentraliser la protection de l’enfance que d’amener chacun, notamment l’État à assumer ses missions légales avec le souci d’articuler les responsabilités des uns avec celles des autres dès lors qu’on les aura clairement énoncées.


Par exemple, trop souvent on parle de concurrence entre la protection administrative et la protection judiciaire quand, en vérité, elles sont articulées et hiérarchisées. La protection administrative est primaire au sens où il lui revient de veiller en amont à ce que nombre de situations difficiles ne se cristallisent pas, quitte quand elle touche les limites de son intervention à mobiliser la justice pour jouer de son autorité dans certaines situations. S’agissant de l’état des personnes, la justice intervient exceptionnellement, par principe et sur la durée (art 34 de la constitution) pour trancher les conflits opposant les familles aux services sociaux. Elle doit alors garantir une réponse en termes de protection et d’éducation de nature à répondre aux difficultés rencontrées par l’enfant. A cet effet la loi renvoie à la Justice de mobiliser l’aide sociale à l’enfance ou les services habilités ès-qualité de prestataires de service. Entend-on remettre en cause le fait que le juge soit le pilote dans l’avion ? On aura alors intérêt à observer de près ce qui se joue en Amérique du Nord, en Grande-Bretagne ou encore le nord de l’Europe. On y regardera à deux fois.


Ayant dépassé ces interrogations sur le cadre institutionnel des politiques publiques on pourra s’attacher au fond.[11] Ainsi il nous faut retrouver sur l’ensemble du territoire un dispositif médico-social de bon niveau et promouvoir une action sociale globale par-delà les symptômes relevés. C’est dans le même temps qu’il faut s’attacher à l’ensemble des problèmes d’une famille (revenu, logement, papiers, santé, etc.).[12] A tout le moins faut-il se rapprocher du projet de service unifié de l’enfance d’avant décentralisation et se doter d’un guichet unique … pour réduire la judiciarisation.

Évitons déjà de revenir aux symptômes avec une réponse institutionnelle spécifique à chaque problème. S’il convient de se mobiliser sur les violences sexuelles s’il ne faut pas oublier que ces violences ne sont que des formes des difficultés rencontrées par les plus jeunes. Il ne peut pas y avoir un dispositif pour les violences sexuelles à enfants, voire les violences intrafamiliales et d’autres dispositifs parallèles pour les autres situations de danger. Une dynamique globale doit être déployée.

S’agissant spécialement des violences à enfants, notamment sexuelles, il nous faut plus que jamais améliorer notre capacité d’écoute, mais avoir le souci des réponses réelles apportées à la parole reçue. A défaut, non seulement on infligerait une nouvelle violence à l’intéressé, mais on découragerait ceux qui doivent parler de le faire. Ils doivent avoir confiance en ceux qui vont intervenir. Il y va de la crédibilité même du dispositif. Attention à ne pas susciter de faux espoirs.
Il convient aussi de s’attaquer à certaines représentations qui paralysent des interventions.  Ainsi la conviction de certains professionnels que leur statut s’oppose à qu’ils révèlent ce qu’ils ont pu apprendre ou comprendre d’une situation. L’ordre de la loi est pourtant clair : il revient à chacun de tenter de faire cesser une situation de péril imminent. A défaut il encourt 5 ans d’emprisonnement, 7 ans pour une victime mineure quand la violation du secret professionnel n’est sanctionnée que par un an de prison. Aucune sanction civile, pénale ou disciplinaire n’est encourue par le signalant de bonne foi. La loi donne même au professionnel le choix des armes : parler ou agir. En tout cas, ne pas rester indifférent. Il nous faut aussi éviter des dérapages même bien intentionnés. Si on doit mieux entendre les enfants. On ne doit pas s’enfermer dans l’a priori que certains développent selon lequel il faut croire par principe les enfants dans les accusations qu’ils portent. Il faut certes les entendre avec bienveillance ; ne pas négliger alors leur parole, leurs mots ou leur comportement.


On entend et on partage ce qui conduit au slogan « Je te crois, je te protège » actuellement développé par la CIIVISE. Pour autant, il mérite d’être critiqué. Il est même dangereux.  On doit lui préférer : « Quoi qu’il se soit passé, je te protège ». « Si effectivement tu as dit la vérité y a un problème majeur ; et si tu as menti il y a un autre problème tout aussi essentiel ! Comment en es-tu arrivé là ? ». Cette démarche est déjà celle de longue date de nombre de juges. On peut entendre le message selon lequel trop longtemps, trop souvent, les victimes, les femmes comme les enfants, ont été négligées et maltraitées par la justice. Pour autant, dans notre état de droit, il faut vérifier la véracité de l’accusation gravissime portée. A défaut, à l’instar de l’affaire d’Outreau [13] tel nouveau scandale retournera la dynamique en défaveur des enfants. Pour cela on a déjà fait des efforts conséquents, certainement insuffisants, mais indéniables. Je fais référence notamment aux travaux concrets et pratiques de Carole Mariage et Thierry Terraube pour la Police nationale sur l’audition des enfants et l’enregistrement de leur parole ou encore l’introduction par la gendarmerie de la procédure Mélanie ; aujourd’hui le NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) élaboré par l’ONU doit servir d’instrument de travail pour garantir autant que faire se peut un recueil de qualité de la parole des enfants et  « faire tenir » les procédures pour au final déboucher sur une condamnation. Formons-y les professionnels policiers et magistrats. On saluera aussi les salles d’audition à l’hôpital à l’initiative de la Fédération La Voix de l‘enfant visant à rendre moins douloureux et plus efficient le parcours suivi par la victime. Ou encore la création récente d‘un Office policier national sur ces sujets.

Reste, et c’est la modernité, que rendre justice aux enfants ne passe pas seulement et nécessairement par la justice. Déjà on a facilité la mobilisation judiciaire. Ainsi on a fait en sorte que moins souvent les prédateurs puissent se retrancher derrière le pseudo droit à l’oubli inaudible pour des jeunes victimes marquées à vie en retardant la date de départ de la prescription à la majorité et en allongeant les délais de la prescription au-delà du droit commun ; en inventant récemment ce concept de prescription glissante qui veut que lorsqu’un fait ne soit pas prescrit il peut permettre la poursuite pour tous les autres atteints par la prescription. On a ainsi singulièrement protégé les victimes en prenant en compte l’incapacité dans lesquelles elles pouvaient se trouver du fait de leur âge ou du traumatisme – cf les travaux sur de la mémoire traumatique du Dr Salmona - pour supporter de devoir interpeller publiquement leur agresseur. On va même plus loin puisque, quoique sachant a priori que si ce qui est allégué est avéré, il ne pourrait pas faire l’objet d’une poursuite pénale, on reçoit la victime et on investigue afin effectivement de faire la vérité sur ces faits. Parfois on n’y parviendra pas, mais si on y réussit le prédateur sera interpellé devant le procureur de la République et la victime sur son comportement. [14]
Quelque part on s’inscrit alors dans le registre de la justice restaurative en observant que dans l’immensité des situations les victimes ne demandent pas tant la condamnation de leur agresseur, voire même une indemnisation financière que le fait qu’il soit dit publiquement qu’elles ont été victimes et qui est le coupable. Avec indéniablement les difficultés de l’exercice et la nécessité de prendre des précautions. Une justice digne de ce nom doit être contradictoire et supporter des recours. La justice médiatique peut aussi porter le meilleur comme le pire. Tel présentateur de télévision ou tel professeur à Sciences Po en savent quelque chose qui ont eu les comptes à rendre par-delà la justice et ont été sanctionnés moralement et socialement pour leur comportement.


Il faut encore combattre les violences systémiques qui peuvent se développer dans certaines institutions – comme l’Église -, des foyers de l’enfance ou des établissement scolaires voire des structures sportives et autres lieux de regroupement d’enfants.

L’enjeu moderne n’est pas seulement de mieux rendre justice aux victimes passées ou actuelles que de faire en sorte que demain il y ait moins de victimes sachant qu’éradiquer totalement ces violences apparaît comme une utopie. L’enjeu doit être que demain une enquête de l’INSERM démontre que ce ne sont plus 5,5 millions de personnes qui ont été victimes d’agressions sexuelles, mais seulement 2 ou 3 millions. Bien évidemment un seuil encore trop élevé ! Les démarches doivent se combiner à cet effet. On peut penser que le fait d’avoir à rendre compte à peu près toute sa vie sur des faits criminels peut être de nature à dissuader de passer à l’acte. Il faut encore engager des campagnes de communication pour, non seulement rappeler l’interdit légal et le justifier moralement, mais encore insister sur le préjudice infligé pour une satisfaction personnelle. Peu importe l’attitude de la victime - sinon pour l’appréciation d’éventuelles circonstances atténuantes : l’adulte doit savoir qu’il n’est pas autorisé à toucher à un enfant au risque d’aller aux assises. Comme nous y appelons, en 2021, la loi est venue opportunément à réparer l’erreur commise en 2018 avec la loi Schiappa : on ne doit pas poser une présomption de non consentement pour l’enfant ; il faut rappeler l’interdit aux adultes. On quitte le subjectivisme pour garantir la sanction :  une personne de plus de 18 ans, une personne de moins de 15 ans et un acte sexuel !

Il faut encore combattre les violences systémiques qui peuvent se développer dans certaines institutions – comme l’Église -, des foyers de l’enfance ou des établissement scolaires voire des structures sportives et autres lieux de regroupement d’enfants. Il est nécessaire aussi de s’attacher aux personnes qui sont passées à l‘acte ou surtout peuvent y être appelées en mettant à leur disposition des lieux d‘accompagnement et de soins comme il en existe déjà avec le dispositif STOP. Il nous faut reprendre le débat éthique sur la castration chimique ou physique tout aussi intéressant que celui sur la fin de vie.
On voit bien que la démarche qui vise réellement à protéger les enfants actuels ou à venir est ambitieuse et doit sortir du seul registre de la répression des prédateurs. Elle appelle notamment à se méfier de tout systématisme. Comme celui de prendre la parole de la victime au comptant. Comme encore de mettre en place des réponses mécanistes telle la suspension automatique de l’autorité parentale, voire de la retirer sur une simple accusation. Il faut un contrôle judiciaire qui permette de mesurer dans chaque situation de l’intérêt et les effets négatifs d’une telle décision générale. La proposition Santiago votée à l’Assemblée a su intégrer ces critiques constructives. On attend le Sénat sur ce sujet.

Nous sommes certainement loin du compte ; loin de disposer d’un dispositif achevé. D’ailleurs cette ambition n’est-elle pas démesurée et elle-même preuve d’une méconnaissance des problématiques ? Des rendez-vous s’imposent donc. Serons-nous capables de les avoir et déjà de les préparer ? Saurons-nous garder raison et avoir les capacités collectives d’une réponse claire et ferme certes équilibrée qui dépasse le seul registre émotionnel qui amène à surfer sur les sensibilités de l’opinion, mais ne permet pas de résoudre les problématiques individuelles et collectives auxquelles nous sommes confrontées ? Saurons-nous avoir les débats publics qui s’imposent et dépassent la seule sphère des professionnels ? On peut, on doit être optimistes. On peut et on doit tout autant appeler chacun à de la rigueur dans la démarche.


[1] Rapport Bonne du 5 juillet 2023

[2] Relire l’Appel d es juges de enfants de Bobigny de 2017 relayé par 250 juges des enfants

[3] On retrouve presque avec 14 000 le niveau de 2018 avant COVID en terme d’accueil annuel de MNA -17000 alors- avec en stock 27 000 MNA sur210 000 accueils physique à l’ASE

[4] A-t-on recherché une réponse familiale ou de proximité comme le demande désormais la loi ? Au passage que vont devenir ces jeunes enfants confiés à l‘ASE : doivent -ils y demeurer ?

[5] Dixit l’ADF, 8 seraient en cessation de paiement en l’état

[6] CNPE, CNA, CNAPE, UNIOPSS, AFMJ, etc.

[7] Qui fait écho à la libre opinion de G. Dufoix dans le Monde de janvier 1983 « Oser en parler »

[8] Voir le Livre blanc du Haut Conseil du Travail Social (HCTS)

[9]  Même les agences d’intérim qui font désormais florès – à un prix exorbitant – ici comme dans le médical peinent désormais à trouver des candidats

[10] Un travail remarquable et original a été développé par l’association Le Cap de Montluçon avec l’ANPE pour former une douzaine de chômeurs aux métiers du  social

[11] Voir billet précédent co-signé avec M. Zennou

[12] Nousille faisions avec un certain succès à Trappes à travers Objectif famille  pour les bénéficiaires du RSA avant que le CD n’y lette fin soudainement … pour des raisons financières

[13] Sachant que dans cette affaire les enfants ont dit leur vérité et nous avons été incapables de décrypter leurs propos.

[14] Circulaire Justice 2022 suite aux pratiques du parquet de Paris