Le principe des « cités éducatives », lancé en 2019, est de créer une « grande alliance éducative » au niveau des territoires pour mieux lutter contre les inégalités. Mais à mesure que le label se déploie, l’uniformisation des pratiques ne prend-elle pas le pas sur les enjeux d’adaptation à la réalité du terrain ?
Les « cités éducatives » sont présentées comme une réponse innovante aux inégalités éducatives. Leur ambition ? Créer des « territoires à haute valeur éducative » en mobilisant tous les acteurs locaux – écoles, associations, collectivités, institutions – autour de la réussite des jeunes de 0 à 25 ans, à l’école, mais également avant, après et autour de celle-ci.
Lancé en 2019, le label est déployé à l’échelle de 248 territoires et cible les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), majoritairement en éducation prioritaire (renforcée) (REP et REP+), particulièrement marqués par de fortes inégalités sociales, scolaires, économiques et des enjeux sécuritaires.
Une généralisation progressive du label est prévue d’ici 2027 pour les quartiers qui se porteraient volontaires. Mais derrière l’ambition d’une territorialisation, cette logique de déploiement peut-elle répondre à la diversité des réalités de terrain ?
Créer une « grande alliance éducative »
Le principe des cités éducatives est de créer une « grande alliance éducative » locale, pour transformer les territoires et réduire les inégalités. Le label a pour vocation de renforcer les coopérations entre acteurs éducatifs, culturels, sociaux, sportifs, autour de projets communs. Trois axes structurent l’action à l’échelle nationale :
- renforcer le rôle de l’école ;
- promouvoir la continuité éducative ;
- ouvrir le champ des possibles pour les jeunes.
Le cadrage national du label est volontairement large, avec l’ambition de laisser aux professionnels socio-éducatifs locaux la possibilité d’innover en réponse aux problématiques qu’ils rencontrent au quotidien.
Plus spécifiquement, ce label repose sur une gouvernance tripartite – appelée « troïka » – réunissant l’État (via la préfecture), la municipalité et l’éducation nationale. À cela s’ajoute un chef de projet opérationnel (CPO), garant du déploiement local et de l’intermédiation.
Chaque année, les cités éducatives lancent des appels à projets auxquels répondent des professionnels socio-éducatifs aux statuts divers (associations, institutions, entreprises…). Les projets peuvent être diversifiés : soutien scolaire, projets sportifs ou culturels, accompagnement à la parentalité, mentorat, prévention du décrochage…
« Les cités éducatives, parlons-en », vidéo explicative de la Ville de Poitiers (2024).
Ainsi, la territorialisation du label cité éducative se joue d’abord à l’échelle des gouvernances locales, puis se renégocie, dans une forme plus « ancrée » par la suite, à l’échelle des professionnels socio-éducatifs locaux.
Autrement dit, chaque cité éducative devrait donc être unique, façonnée par les besoins et les singularités de son territoire. Mais, à mesure que le dispositif se déploie, une autre logique tend à s’imposer : des projets similaires d’une cité éducative à une autre, des publics cibles uniformisés, la duplication des dispositifs et actions…
Vers une duplication des projets entre cités éducatives ?
Les diagnostics territoriaux réalisés à l’échelle de chacun des territoires labellisés révèlent une grande diversité d’enjeux locaux. Pourtant, les projets retenus et mis en œuvre au sein des cités éducatives se ressemblent fortement d’un territoire à l’autre.
Qu’on regarde une cité éducative d’Île-de-France ou du centre-ouest de la France, on retrouve les mêmes grandes priorités en termes de thématiques – culture, citoyenneté, soutien à la parentalité. Idem pour les publics visés : sur le papier, une attention particulière est portée aux 0-3 ans et aux 16-25 ans. Toutefois, ce sont surtout les enfants de 6 à 16 ans et leurs parents qui concentrent l’essentiel des actions financées. À l’échelle nationale, ces catégories représentent plus de 80 % des publics ciblés, tandis que les 0-3 ans et les jeunes adultes restent largement en marge.
Résultat : une standardisation des thématiques et des publics malgré des contextes locaux très différents.
Deux formes de duplication sont à l’œuvre. D’abord, on observe une duplication par mimétisme : certains projets jugés « innovants » ou « efficaces » circulent d’une cité éducative à l’autre via les réseaux informels – échanges entre chefs de projet opérationnel, rencontres organisées par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), partages sur les réseaux sociaux…
Des « plans lecture », des ateliers vélo ou natation, des actions de sensibilisation aux écrans ou encore des expansions de dispositifs comme les lieux d’accueil parent-enfant (LEAP ou les « cordées de la réussite » sont ainsi repris d’un territoire à l’autre avec les mêmes modalités, les mêmes objectifs, parfois même le même intitulé.
Vidéo de présentation de la Ville d’Annemasse, en janvier 2025.
À côté de cette dynamique d’essaimage, on observe une deuxième forme de duplication, plus institutionnelle. Des associations gestionnaires de l’éducation populaire, des start-up de l’éducation ou des entreprises sociales proposent des projets « clés en main », déjà rodés à l’échelle nationale.
Par exemple, l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) déploie des actions de mentorat et le programme Demo’campus dans une pluralité de cités éducatives. En 2022, la Ligue de l’enseignement déploie des actions au sein de 26 cités éducatives. En 2024, un tiers des cités éducatives soutiennent financièrement le programme Coup de Pouce.
Une territorialisation de l’action éducative en trompe-l’œil ?
Cet essaimage interroge la perspective territorialisée de cette politique publique. Si la rhétorique de la territorialisation est omniprésente, les modalités concrètes de mise en œuvre racontent une autre histoire : celle d’une institutionnalisation des innovations et d’une uniformisation des projets, des priorités et des publics, au mépris ou en ignorance des singularités locales.
Ce paradoxe n’est pas sans conséquences. D’un côté, les professionnels socio-éducatifs locaux s’épuisent à tenter de répondre aux besoins locaux. De l’autre, les dispositifs et projets perdent en efficacité, faute d’être réellement ancrés dans les besoins et les réalités du terrain.
La volonté d’essaimer les « bonnes pratiques » affaiblit ce qui faisait la force supposée du dispositif : sa capacité à faire du sur-mesure. Les cités éducatives risquent ainsi de reproduire les limites des politiques éducatives territorialisées antérieures, où l’innovation locale cède progressivement le pas à une standardisation institutionnelle.
Laurie Genet, Docteure en Sciences de l'éducation et de la formation, CY Cergy Paris Université
