En Guyane, le décrochage scolaire et la déscolarisation ne sont pas des problèmes isolés, mais le résultat d'une situation complexe où se croisent des facteurs sociaux, culturels et géographiques, ainsi que des infrastructures insuffisantes. Ces problématiques découlent d’inégalités profondes dans l'accès à l'éducation, exacerbées par des conditions de vie précaires et un éloignement géographique.
Dans une analyse parue sur le site de la Fondation Jean Jaurès, Antoine Plancke, professeur de lycée professionnel en lettres et histoire-géographie à Saint-Laurent-du-Maroni, alerte sur la mise en péril du droit à l’éducation en Guyane. Selon lui, le décrochage scolaire résulte généralement d'un processus qui débute par un absentéisme chronique. Dans un lycée de l’Ouest guyanais, destiné à accueillir 800 élèves mais où plus de 1 500 sont inscrits, le taux d’absentéisme quotidien atteint presque 20 %. « Il devient relativement courant qu’à son retour, l’élève ne justifie pas son absence », souligne Antoine Plancke. Face à ces situations complexes, l’enseignant se retrouve souvent dans un dilemme : doit-il insister pour obtenir une justification ou préserver un lien fragile avec l’élève ?
L’une des causes de ces difficultés est l’origine sociale de nombreux élèves, fréquemment issus de familles précaires, peu ou pas scolarisées, parfois sans papiers. Leurs parents, qui ne maîtrisent pas toujours le français, ont souvent une relation distante, voire méfiante, avec l’institution scolaire. « On ne peut que difficilement compter sur eux pour lutter contre le décrochage scolaire en cours », explique Antoine Plancke. En outre, l’absence de formation des enseignants à l’interculturalité ne fait qu’accentuer ce fossé.
Le décrochage scolaire en Guyane dissimule un autre phénomène tragique : le suicide chez les jeunes Amérindiens. Le taux de suicide y est 20 fois plus élevé qu'en métropole, touchant principalement les moins de 20 ans, et parfois même des enfants dès 9 ou 10 ans. Ce mal-être, profondément ancré, est lié à la perte de repères, à un bouleversement brutal des modes de vie, à la déstructuration familiale et à l’éloignement forcé du foyer pour la scolarité. Le système éducatif, en créant un « choc frontal entre deux mondes », est également pointé du doigt, avec des jeunes pris entre leur culture ancestrale et un monde moderne qu’ils ont du mal à appréhender.