Déposée le 5 novembre à l'Assemblée nationale, une proposition de résolution demande la création d’une commission d’enquête sur le traitement des affaires d’inceste parental. L’exposé des motifs décrit un système où procédures, décisions et alertes s’articulent mal au risque de laisser des enfants insuffisamment protégés.

Pourquoi deux affaires d’inceste parental, similaires par les faits et les signaux de danger évoqués, peuvent-elles suivre des trajectoires si différentes selon les services ? Déposée le 5 novembre à l'Assemblée nationale, une proposition de résolution portée par Sandrine Josso (Les Démocrates, Loire-Atlantique) et Marie-Charlotte Garin (Écologiste et Social, Rhône) pose cette interrogation d’emblée.

Pour établir le cadre, les élues mobilisent les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Elles rappellent notamment que « 27 % des agresseurs incestueux sont des pères », que « 160 000 enfants » subissent chaque année des violences sexuelles et que « 97 % des agresseurs échappent à toute condamnation ». Ces repères servent à interroger la circulation des dossiers entre les juridictions, la cohérence des décisions rendues et la place réelle accordée à la parole de l’enfant.

Dans l'exposé des motifs, les deux députées décrivent également des situations où des mères seraient « prises au piège d’une justice qui les contraint à livrer leurs enfants à leur agresseur dénoncé ». Elles citent plusieurs configurations : « lorsqu’une enquête pour viol incestueux est en cours » ; « lorsqu’un père a été condamné pour inceste sur un autre membre de la fratrie » ; « lorsqu’un père a été reconnu coupable de violences sexuelles sur un mineur tiers » ; « lorsqu’un père a été condamné pour violences physiques sur ses propres enfants » ; « lorsque l’enfant exprime un refus clair ». Sandrine Josso et Marie-Charlotte Garin ajoutent enfin les situations « lorsque des médecins, psychologues ou travailleurs sociaux alertent sur la dangerosité du père, rapports ignorés ou discrédités par les juges et sanctionnés par l’ordre des médecins ».

Des failles structurelles

L’exposé des motifs pointe plusieurs maillons faibles : « absence de définition légale claire du signalement », « inapplication du protocole Mélanie », « classements sans suite expéditifs », « maintien systématique du lien avec l’agresseur ». Les deux parlementaires rappellent aussi qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été jugée recevable en 2024. Elle est présentée comme révélatrice d’un « vide juridique ». Elle pointe les effets immédiats des signalements et la responsabilité de l’État lorsque la protection n’est pas assurée.

C’est dans ce contexte que la proposition de résolution affirme : « Face à cette crise, dont les victimes sont réduites au silence et les agresseurs protégés par l’inaction, une commission d’enquête parlementaire s’impose comme une urgence absolue. »

« Décrypter les failles des enquêtes, scruter le rôle des institutions dans cet abandon et proposer des réformes pour enrayer cette tragédie nationale. »

Une commission pour tout revoir

L’article unique prévoit la création d’une commission d’enquête de trente membres, chargée « d’investiguer les défaillances du traitement judiciaire et institutionnel des affaires d’inceste parental, notamment paternel, et des violences sexuelles sur mineurs ». Le texte lui demande d’examiner comment certains dossiers se retrouvent classés sans suite, pourquoi la reconnaissance des victimes reste si difficile et dans quelles conditions des mères protectrices peuvent être poursuivies. Il s’agit aussi d’interroger la cohérence des décisions de placement ou de retrait de garde, d’observer la conduite des enquêtes et d’évaluer leur capacité à répondre aux spécificités des violences sexuelles sur mineurs.
La proposition de résolution cherche également à comprendre la place des services sociaux dans « la réduction au silence des victimes » ou dans « le maintien du lien avec l’agresseur présumé ». Elle insiste sur l’enjeu que représente l’usage du protocole Mélanie, conçu pour sécuriser la parole de l’enfant et encore trop peu mobilisé.

La ligne directrice est explicite : « Elle devra décrypter les failles des enquêtes, scruter le rôle des institutions dans cet abandon et proposer des réformes pour enrayer cette tragédie nationale. » L’ambition est large, mêlant diagnostic approfondi et pistes d’évolution.
Les recommandations citées le sont dans les termes mêmes du texte : « suspendre immédiatement les poursuites pour non-représentation d’enfant » lorsqu’un parent protège son enfant ; « instaurer la suspension automatique de l’autorité parentale » dès un signalement crédible ; « imposer un principe de précaution interdisant tout contact » ; systématiser le protocole Mélanie ; renforcer la formation des professionnels ; garantir enfin un accompagnement psychologique et juridique aux victimes et à leurs parents protecteurs.

La commission devra rendre ses conclusions dans un délai de six mois, avec des propositions législatives et réglementaires destinées à « instaurer une protection effective des enfants et une justice à la hauteur de cette crise ».

Si l’expertise est là, si les recommandations sont connues, si les chiffres ne font plus débat, qu’est-ce qui empêche encore le système de se transformer ?

Et maintenant, que reste-t-il à examiner ?

La résolution s’inscrit dans un paysage déjà marqué par les travaux de la Ciivise. Son rapport final, publié en novembre 2023, formulait 82 recommandations. Il s’appuyait sur 30 000 témoignages d’enfants, d’adultes et de proches concernés par l’inceste ou les violences sexuelles. Suspension automatique de l’autorité parentale en cas de mise en cause, principe de précaution interdisant tout contact, généralisation du protocole Mélanie, formation renforcée des professionnels, accompagnement des victimes : autant de leviers déjà identifiés par la commission indépendante et qui, deux ans après, n’ont pour l’essentiel toujours pas été mis en œuvre. Un rapport d’étape rendu en octobre 2024 n’a pas inversé cette tendance : la plupart des préconisations restent en attente d’application, faute de moyens, de coordination ou d’arbitrage politique.

Dans ce contexte, la commission d’enquête demandée pose une question simple : pourquoi relancer un examen alors qu’un corpus solide de propositions existe déjà ? Faut-il combler ce que la Ciivise n’a pas pu explorer ? Mesurer pourquoi ses recommandations peinent encore à s’appliquer ? Ou identifier ce qui, dans la mécanique judiciaire et sociale, continue de bloquer malgré l’accumulation des constats ?

En creux, la démarche met au jour le cœur de l’impasse : si l’expertise est là, si les recommandations sont connues, si les chiffres ne font plus débat, qu’est-ce qui empêche encore le système de se transformer ?