Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, plusieurs associations œuvrant dans l' accompagnement des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles et en grande difficulté réclament une revalorisation salariale de leurs métiers.


Monsieur le Président de la République,

Nous célébrons, le 5 octobre 2022, les cinq ans de #metoo. Cette révolution féministe a permis à notre société de prendre conscience de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles et des archaïsmes du patriarcat qui permettent aux inégalités entre les femmes et les hommes de perdurer dans notre société. Depuis cinq ans, le gouvernement et les médias incitent les femmes à parler et à porter plainte contre les violences, à dénoncer les situations
injustes. Mais qui les écoute ? Qui leur apporte des réponses ? Qui accumule une expérience de terrain unique et utile à l’élaboration de politiques publiques, de modifications législatives ?

Depuis plusieurs dizaines d’années, nos associations sont en première ligne pour lutter contre ces violences sexistes et sexuelles. Au sein de nos réseaux et de nos associations, quelques milliers de salariés et de salariées – très majoritairement des femmes – informent, écoutent et accompagnent des femmes en grande difficulté : des victimes de toutes origines qui subissent ces violences.
Au total, ce sont plus de 800 000 femmes qui sont écoutées, accompagnées et
soutenues au sein des accueils de jour, des lieux d’écoute, d’accueil et d’orientation (LEAO), des lignes d’écoute pour les victimes – le 3919 et le 0 800 05 95 95 ou, pour les IVG et la contraception, le 08 11 08 11 11 –, qui sont accueillies dans des centres d’hébergement spécifiques et de logements accompagnés, ainsi que des permanences juridiques et sociales animées partout en France.

Durant la crise due au Covid-19, nos associations ont maintenu leur activité pour écouter et protéger toutes les femmes victimes de violences. Lors des différents confinements, nos salariées ont continué d’écouter et de soutenir activement les victimes, souvent en télétravail depuis leur domicile, amenant ainsi chez elles, dans leur vie familiale, les violences. Elles ont mis en sécurité des femmes victimes de violences, alors que tout le pays était immobilisé, que les centres d’hébergement d’urgence étaient confinés.

Elles ont aussi fait face à l’augmentation de la très grande précarité en distribuant des chèques-services et diverses aides à des femmes sans ressources du jour au lendemain. Depuis le début de cette crise, les professionnelles et professionnels de nos associations répondent à une augmentation très conséquente de leurs activités, sans moyens supplémentaires à la hauteur des enjeux.
Lorsque le gouvernement a annoncé la revalorisation des salaires des métiers de la
santé et de l’accompagnement social, en première ligne durant la crise sanitaire, il nous semblait évident que les salariées de nos associations seraient concernées. Cela n’est pas le cas. Et quand nous l’avons demandé, nous n’avons pas été entendues. Le budget du ministère de l’égalité femmes-hommes, qui reste le plus petit budget de l’Etat, ne prévoit pas d’intégrer des moyens supplémentaires pour la revalorisation des salaires des employés de notre secteur.

L’immense majorité de ces postes, pourtant fondamentaux, sont exclus de la hausse salariale mise en place par le gouvernement. Comment expliquer, alors que l’égalité femmes- hommes a été annoncée comme étant la grande cause de votre quinquennat, que les associations qui la mettent en œuvre sur le terrain soient exclues de cette revalorisation et ne soient pas reconnues pour leur utilité sociale ?
Aujourd’hui, les équipes de nos associations sont épuisées. Nous faisons déjà face à de nombreux départs de professionnels, à des difficultés massives de recrutement, à des directrices, des chefs de service, des salariés... parfois en burn out face à la charge de travail. Nous sommes extrêmement inquiètes des conséquences de cette revalorisation partielle : la revalorisation des salaires des seuls secteurs sociaux et médico-sociaux, de surcroît sans assurance de leur financement par les différents financeurs de l’Etat et des collectivités territoriales, risque de provoquer une « fuite » des salariées de nos associations vers celui-ci.
Autrement dit, cette différence de traitement nous fragilise. Notre action repose sur un travail d’équipe : des professionnelles socio-éducatives, des psychologues, des juristes, des professionnelles écoutantes, des conseillères en insertion professionnelles, des conseillères conjugales et familiales, des agentes de prévention... mais aussi des fonctions supports indispensables à l’action (secrétaires, agentes d’accueil, comptables et chargées de ressources humaines, cheffes de service, directions...). Nous demandons que leur travail soit reconnu à sa juste valeur. Cette revalorisation doit bénéficier à toutes les professionnelles. Car comment expliquer, au sein d’une même équipe, la revalorisation du salaire des psychologues, mais pas des juristes ou des écoutantes ?

Monsieur le Président de la République, le projet de loi de finances pour 2023 est
actuellement en discussion au Parlement. Nous vous demandons de poser un acte nécessaire, concret et immédiat en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en veillant à une augmentation supplémentaire du budget consacré à la revalorisation salariale des professionnelles de 10 millions d’euros.
C’est notre capacité à porter un projet de société plus juste et plus humain, une société de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui est en jeu. La lutte contre les violences faites aux femmes doit être à la hauteur de la libération de la parole et l’espoir immense que #metoo a suscité il y a cinq ans.

Les signataires :
Marie-Hélène Franjou, présidente de l’Amicale du Nid
Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les
violences faites aux femmes au travail et membre du HCE
Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol - Viols Femmes
Informations (0800 05 95 95)
Danielle Bousquet, présidente de la Fédération nationale des Centres d’information des droits des femmes et des familles (FNCIDFF)
Dominique Guillien Isenmann, présidente de la Fédération nationale Solidarité
Femmes (FNSF - 3919)
Sabine Salmon, présidente nationale de Femmes solidaires
Alissata N’Diaye, présidente de la Fédération GAMS, et Sadio Diabira, vice-présidente de la Fédération GAMS
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes
Alyssa Ahrabare, porte-parole d’Osez le féminisme
Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid
Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, et Caroline Rebhi, coprésidente du Planning familial

Lettre ouverte publiée également le 11 octobre 2022 https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/11/lutte-contre-les-
violences-faites-aux-femmes-une-revalorisation-des-metiers-du-soin-est-urgente_6145339_3232.html