Entre 2016 et 2020 , le nombre d’affaires de prostitution chez les mineurs a augmenté de 68 %. Selon un rapport du Centre de victimologie pour mineurs, publié le 28 février, le phénomène est protéiforme, complexe et grandissant.

Adrien Taquet, Secrétaire d'État chargé de l'Enfance et des Familles, a lancé, le 28 février, une campagne nationale de sensibilisation sur la réalité et les dangers de la prostitution des mineurs. Cette campagne s'inscrit dans le cadre d'un plan de lutte contre la prostitution lancée en novembre 2021 et financé à hauteur de 14 millions d'euros. Le film met en scène une victime mineure de prostitution dans un quotidien qu’elle pense "gérer" jusqu’à perdre pied.

Entre 7000 et 10 000 jeunes seraient victimes de prostitution chaque année en France. « Une évaluation approximative et probablement en deçà de la réalité », reconnaît le gouvernement. Pour avoir une plus grande visibilité du phénomène, il faut se plonger dans le rapport du Centre de victimologie pour mineurs (CVM), qui a rendu ses conclusions, le 28 février, à Adrien Taquet. Ce travail de recherche mené pendant un an, entre novembre 2020 et novembre 2021, par trois expertes - Charlotte Georgiard, cheffe de service de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu, Hélène Pohu, sociologue et Mélanie Dupont, psychologue et présidente de l’association Centre de Victimologie pour Mineurs - vient compléter un premier travail remis en juillet 2021. Les conclusions permettent de mieux comprendre ce phénomène à la fois protéiforme et complexe et de cerner le profil des victimes, d’un point de vue sociologique, psychologique et médico-légal.

« 88 % des victimes de prostitution de mineurs sont des filles âgées entre 14 et 17 ans », analyse la CVM.

Selon les constats des acteurs institutionnels et les associations, « la prostitution des mineurs s'accroît et ne se réduit plus seulement à la traite de mineurs d'origine étrangère ». Parmi les filles mineures victimes de prostitution de nationalité française enregistrées par les services de police et de gendarmerie, 88% sont âgées de 14 à 17 ans. Les garçons, même s’ils sont toujours minoritaires, sont représentés à tout âge. La prostitution des mineurs ne se réduit pas seulement à la traite de mineurs d’origine étrangère, elle touche « tous les milieux sociaux, toutes les origines, toutes les zones géographiques, environnement rural et environnement urbain », expliquent les expertes.

7% des mineurs français victimes de prostitution enregistrés par les services de police et de gendarmerie, de 2016 à 2020, ont été prostitués par un ou plusieurs membres de leur famille.

Pour ce qui concerne les auteurs de proxénétisme sur mineurs ou de recours à la prostitution de mineurs, ce sont pour la plupart des hommes, âgés de 18 et 24 ans. « 7% des mineurs français victimes de prostitution enregistrés par les services de police et de gendarmerie, de 2016 à 2020, ont été prostitués par un ou plusieurs membres de leur famille. Quand les victimes mineures françaises de prostitution ont moins de 13 ans, les auteurs sont des membres de leur famille dans 39% des cas », ajoute le rapport.

Si le nombre d’affaires judiciaires liées à la prostitution d’enfants a augmenté de 68% entre 2016 et 2020, le CVM déplore que la moitié des affaires rapportées aux autorités judiciaires soient classées sans suite. « 84% des classements sans suite le sont pour le motif « non poursuivable », le plus souvent parce que l’infraction est insuffisamment caractérisée. [...] Dans les affaires poursuivies, pour 19% des mineurs victimes de prostitution de nationalité française, les auteurs étaient mineurs. Le nombre d’auteurs mineurs a été multiplié par 4 entre 2016 et 2020 ».

Les faits de prostitution surviennent majoritairement dans un contexte de fugue ou une « mauvaise rencontre » avec un petit ami qui se révèle être un proxénète. « Sept mineurs sur dix déclarent s’être prostitués pour l’argent », relève l’étude. Si la moitié des mineurs est recrutée par l’intermédiaire d’une connaissance antérieure aux faits de prostitution, Internet, et particulièrement les réseaux sociaux, joue désormais un rôle majeur : « Internet est le vecteur principal de mise en relation avec le client. Les sites spécialisés sont majoritairement utilisés, avec une sur-représentation de Sexmodel et Wannonces. Les annonces sont également diffusées par les réseaux sociaux tels que Snapchat et Instagram », explique le CVM. Les actes prostitutionnels ont principalement lieu en indoor (appartements privés, location Airbnb, hôtels, domicile du client). Les mineurs victimes sont généralement prostitués loin de leur lieu d’habitation et peuvent rapidement changer de lieu de prostitution.

« Une certaine méconnaissance sur la législation en vigueur dans notre pays concernant l’interdiction d’achat d’acte sexuel persiste. Le message clé est qu’un mineur victime de prostitution est un mineur en danger. »

Les auteurs du rapport insistent sur le caractère « protéiforme » de la prostitution des mineurs, qui souvent est « l'aboutissement d'un parcours traumatique ». « Le parcours de vie des mineurs victimes de prostitution est marqué par de multiples événements qui fragilisent leur développement : des familles confrontées à des événements problématiques interférant avec la disponibilité parentale, une scolarité en pointillés, une multitude d’événements potentiellement traumatiques, dont parfois, une confrontation à une sexualité traumatique », énumère le rapport.

La pratique prostitutionnelle expose les mineurs à des risques pour la santé physique (infections sexuellement transmissibles, grossesse non désirée, consommation de produits stupéfiants, violences physiques, psychologiques et sexuelles perpétrées majoritairement par les proxénètes...) et elle génère également des effets délétères sur leur santé mentale.  « Les mineurs rapportent souvent des sentiments de dégoût, de honte, de culpabilité, pouvant aller jusqu’à des idées suicidaires et des scarifications. Ils décrivent une perte de confiance en eux avec un changement dans leur rapport au corps, ainsi que dans leur perception d’eux-mêmes. »

Pour mieux appréhender ce phénomène, les expertes estiment que « l’information, la prévention et la formation sont les outils clés». Et d'ajouter : « Aujourd’hui encore, une certaine méconnaissance sur la législation en vigueur dans notre pays concernant l’interdiction d’achat d’acte sexuel persiste. Le message clé est qu’un mineur victime de prostitution est un mineur en danger. »
Des guides à destination des parents et des professionnels de l'enfance existent, qui permettent de connaître les signes de repérage d’un mineur en situation de prostitution et qui informe sur les aides et les actions possibles. L’association CVM met à la disposition des professionnels de nombreux outils.

Recherche-action pluridisciplinaire sur la prostitution des mineurs en France - CVM - Janvier 2022

A noter : la problématique de la prostitution des mineurs dans les territoires ultra-marins n’a pas été abordée dans la recherche-action. L’équipe du CVM va poursuivre ses travaux afin de cerner la problématique en Martinique, Guadeloupe, à Mayotte et la Réunion.