La crise du logement se donne particulièrement à voir au travers de ce que l’on nomme en statistiques le « taux d’effort ». Il s’agit du pourcentage du revenu des ménages consacré à l’habitation principale. Chez les jeunes ménages locataires de moins de trente ans, parmi lesquels souvent des étudiants, il atteindrait plus de 60 % selon un rapport d’information de l’Assemblée nationale alors qu’il est en moyenne de 23 % pour l’ensemble de la population.

Même en tenant compte des aides, ce taux reste deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population de l’Assemblée nationale de décembre 2021 sur le logement et la précarité́ des étudiants, apprentis et jeunes actifs. Il était mesuré en effet à 22 % pour les 18-25 ans, 18,5 % pour les 25-29 ans et 10,3 % pour la population générale.

La crise immobilière actuelle, marquée par un ralentissement des transactions en raison notamment d’un renchérissement du crédit, masque en réalité une crise plus large d’accès au logement, dont les plus jeunes sont aujourd’hui les premières victimes. Les difficultés des « 18-29 ans », c’est-à-dire plus de 9,2 millions de personnes en 2021, 14 % de la population française, ne sont certes pas nouvelles mais la tension locative semble aujourd’hui atteindre son paroxysme : il ne suffit plus d’avoir un emploi pour espérer trouver et accéder à un logement.

L’offre ne suit pas la demande

Il s’agit autant d’une crise de la demande que d’une crise d’offre. Du côté de la demande, les jeunes locataires ont de moins en moins les moyens de se loger. Hormis le taux d’effort cité plus haut, cette classe d’âge de la population reste marquée par une fragilité, pour une part structurelle en raison du délai entre la fin des études et le premier emploi : le chômage concerne plus de 15 % des 15-24 ans (contre 8,5 % pour la population générale) en 2023. De surcroît, les jeunes sont majoritairement face à un marché de l’emploi qui ne leur est pas favorable et qui s’est dégradé : 12,9 % des 15-29 ans (17,8 % pour les 25-29 ans) ne se trouvaient ni en emploi, ni en étude ou formation en 2021.

Le logement des jeunes (étudiants ou jeunes actifs notamment) reste une problématique récurrente en France depuis longtemps. Alors que le parc social a été conçu à l’origine pour accueillir les jeunes ménages, la baisse du taux de rotation et le vieillissement de la population occupante limitent aujourd’hui son accès aux plus jeunes, les conduisant à se reporter par défaut vers le parc privé locatif beaucoup plus cher.

Ainsi, le parc social enregistre une diminution importante et de long terme des locataires de moins de 30 ans, passant de 24 à 8 % entre 1984 et 2013, au profit notamment des plus de 65 ans qui sont, au contraire, de plus en plus nombreux à y trouver une place. On observe une hausse de 7 points parmi les titulaires des baux sociaux (22 % en 2013) à appartenir à cette tranche d’âge et de 10 points chez les 50-64 ans (30 % en 2013) sur la même période.

Aujourd’hui, le premier logement d’un jeune en décohabitation est majoritairement un logement locatif dans le parc privé, le secteur social offrant peu de places aux nouvelles générations. En 2020, l’Insee recensait autour de 72 % de locataires parmi les ménages de moins de 25 ans dans le parc locatif privé (contre 22 % pour la population générale) presque essentiellement de logements de petite taille très demandés et de plus en plus rares et onéreux et entre 16 et 20 % dans le parc social (17 % pour la population générale). Pour les jeunes de moins de 25 ans, ce ratio concernant le locatif privé s’est accru très fortement, passant successivement de 57 % en 2013 à plus de 72 % en 2020.

La crise liée aux tensions sur le pouvoir d’achat du côté de la demande se double ainsi d’une crise de l’offre, liée à une insuffisance du nombre de logements. Cette tendance est encore plus marquée pour la population étudiante. Selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), l’offre élargie de logements aux étudiants ne répondait en réalité aux besoins que de 18 % de ceux ne vivant pas chez leurs parents en 2019.

Le Crous, notamment, l’opérateur historique de l’État, accueillant avec des loyers plafonds des étudiants sous plafonds de ressources et prioritairement boursiers, logeait 35 % des 215 000 étudiants dans les années 1960 (dénominateur plus large que celui cité auparavant car il intègre les étudiants logeant chez leurs parents : ils sont 32 % dans ce cas aujourd’hui). Ces résidences ne peuvent, en 2019, loger que 25 % des boursiers de l’État.

Par ailleurs, les résidences sociales pour jeunes actifs conventionnés – qui répondent aux enjeux de précarité et de mobilité professionnelle des jeunes (notamment les résidences sociales et foyers de jeunes travailleurs, les résidences jeunes actifs) – ne satisfont selon l’Union professionnelle du logement accompagné (Unafo) qu’une trop faible part de la demande exprimée et ne peuvent s’adresser qu’aux personnes les plus en précarité.

Le phénomène concerne à la fois la région Île-de-France, qui concentre 26 % de la population estudiantine (733 000 étudiants dont 367 000 dans Paris), mais également aujourd’hui toutes les autres régions et notamment les métropoles et villes moyennes. Ainsi, à Lyon et à Rennes, ce sont plus de quatre demandes pour une offre tandis que le marché locatif des petites surfaces reste tendu et souvent échappe pour les résidences étudiantes avec service à l’encadrement de loyers.

Carte: The Conversation France CCSource: Enquête LocService Créé avec Datawrapper

L’État veut accélérer le rythme

Dans le parc social, et dans la continuité du « plan 60 000 logements étudiants » lancé en 2018, les bailleurs sociaux tentent de renforcer depuis quelque temps une offre de logements destinée aux jeunes (résidences sociales, foyers de jeunes travailleurs ou résidences universitaires en gestion directe ou indirecte). Plus récemment, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé un plan d’action pour favoriser la construction de logements, notamment pour les étudiants, au travers d’un plan de relance des logements sociaux.

La situation reste néanmoins très critique et complexe dans le parc locatif privé, conséquence de la financiarisation de l’immobilier observée depuis deux décennies qui a conduit à une envolée des prix immobiliers, entretenue par une période de taux bas, et des loyers en déconnexion avec les revenus des ménages. Les nombreux dispositifs fiscaux, développés depuis plus d’une décennie, notamment en faveur de l’investissement locatif en LMNP (loueur de meublé non professionnel) ont réorienté majoritairement le parc résidentiel privé vers une offre locative de petits meublés de courte durée. Ceux-ci sont de surcroît non soumis à l’encadrement des loyers, offrant des taux de rentabilité comparativement bien plus élevés, déséquilibrant et raréfiant structurellement le parc résidentiel locatif, notamment dans les villes universitaires et touristiques.

Le dispositif très attractif de l’investissement locatif en LMNP est en train de se rabattre sur la niche de marché du logement des étudiants et des jeunes actifs alors que la crise des bureaux et du logement en accession à la propriété menace l’activité immobilière des promoteurs. Plusieurs programmes immobiliers de résidences services étudiantes privées et de résidences de coliving non conventionnées, mises en location sous le statut LMNP, ou non, voient le jour. Si elles apportent une réponse partielle à la demande et à la crise du bureau post-Covid, elles concourent néanmoins paradoxalement à renforcer la crise du logement des plus démunis, dans un contexte de forte pénurie et de surenchère du foncier. Cela compromet dans de nombreux cas, le développement et la faisabilité économique de l’offre publique de logements conventionnés dédiée aux jeunes.


L’autrice tient à remercier Tommy Veyrat, Directeur de l’URHAJ Île-de-France et Nicolas Delesque, Universités & Territoires, pour leurs contributions à la réflexion et à la documentation de cet article.

Ingrid Nappi, Économiste, professeur HDR au département SEGF (Sciences économiques, Gestion, Finance), École des Ponts ParisTech (ENPC)

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