Naître dans une commune défavorisée en France, c’est risquer presque deux fois plus de mourir dans son premier mois de vie. Une étude Inserm, publiée le 16 septembre, révèle que la hausse de la mortalité néonatale frappe avant tout les territoires les plus pauvres, creusant une fracture sociale dès la naissance.

En France, l’endroit où l’on naît peut décider des chances de survie. Alors que la mortalité infantile continue de baisser dans la plupart des pays européens, la France fait figure d’exception. Après des décennies de progrès, la courbe s’inverse : de 3,5 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2011, le taux est passé à 4,1 en 2024. Une hausse qui peut sembler modeste, mais qui marque une rupture inquiétante.

Ce sont surtout les décès dans les 28 premiers jours de vie – la mortalité néonatale – qui expliquent ce rebond. En 2022, une étude avait déjà signalé cette progression, sans identifier clairement les populations les plus touchées. Trois ans plus tard, une analyse publiée le 16 septembre par l’Inserm, avec l’Université Paris Cité, l’Université Paris Nord, l’Inrae et l’AP-HP, apporte une réponse claire : les inégalités sociales sont au cœur du problème. « Les inégalités socio-économiques ont contribué à l’aggravation récente des taux de mortalité néonatale en France », concluent les chercheurs.

Le lieu de naissance compte

Pour comprendre où et pourquoi les écarts se creusent, les chercheurs ont construit un indice de désavantage social périnatal, sorte de thermomètre des inégalités appliqué aux communes françaises. Revenu médian, taux de chômage, familles monoparentales, part de locataires ou encore proportion de personnes immigrées : autant de critères qui permettent de dresser le portrait socio-économique d’un territoire.

Ces données ont été croisées avec les chiffres de mortalité néonatale issus du Système national de données de santé (SNDS), en comparant deux périodes, 2001-2008 et 2015-2020. Ce travail de longue haleine a permis de mesurer l’évolution dans le temps et de pointer les zones les plus vulnérables.

Le résultat est sans appel : entre 2015 et 2020, la mortalité néonatale s’élevait à 3,34 décès pour 1 000 naissances vivantes dans les 20 % de communes les plus défavorisées, contre 1,95 pour 1 000 dans les 20 % les plus favorisées. En clair, un bébé né dans un territoire pauvre avait 1,7 fois plus de risques de mourir dans son premier mois de vie.

Le Dr Victor Sartorius, premier auteur de l’étude, ne laisse place à aucune ambiguïté : « Si tous les enfants avaient bénéficié du même risque que ceux des communes les plus favorisées, environ 2 496 décès de nouveau-nés auraient pu être évités sur la période 2015-2020. »

La comparaison dans le temps confirme l’ampleur du phénomène. Alors que la mortalité est restée stable dans le reste du pays, la hausse est entièrement concentrée dans les communes défavorisées. « La hausse observée se concentre uniquement dans les territoires défavorisés, alors que la mortalité est restée stable dans le reste du pays », insiste Jennifer Zeitlin, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm, autrice senior de l’étude.

« L’accès aux soins et la capacité des résidents à se saisir du système de santé sont réduits dans les territoires défavorisés »

Des conditions de vie défavorables

Comment expliquer que les enfants nés dans les communes les plus modestes soient davantage exposés ? Les chercheurs mettent en avant un cocktail de facteurs liés aux conditions de vie. Le tabagisme pendant la grossesse, l’obésité maternelle ou encore l’exposition à la pollution s’y révèlent plus fréquents. Autant d’éléments qui favorisent prématurité et faible poids à la naissance, deux marqueurs étroitement associés à un risque accru de décès néonatal.

Ces constats font écho à une réalité bien connue des épidémiologistes : dans les milieux précaires, les vulnérabilités se cumulent et se renforcent. Le désavantage social ne se contente pas de peser sur les parcours scolaires ou professionnels, il agit dès le début de la vie comme un amplificateur de risques biologiques et environnementaux.

Des soins sous tension

L’étude met également en lumière des inégalités d’accès aux soins. Dans les territoires défavorisés, les familles ont davantage de difficultés à bénéficier d’un suivi médical optimal. « L’accès aux soins et la capacité des résidents à se saisir du système de santé sont réduits dans les territoires défavorisés », rappelle le Dr Sartorius.

Mais au-delà de l’accès, c’est aussi la disponibilité et la qualité des soins qui posent question. Certaines unités de soins critiques pour nouveau-nés fonctionnent en situation de saturation permanente. « Les forts taux d’occupation dans les unités qui prennent en charge les nouveau-nés en état critique, couplés aux sous-effectifs, pourraient aussi être une hypothèse parmi les causes à explorer », ajoute le chercheur.

Ces constats révèlent un système de santé sous tension dans les zones fragiles, où les soignants sont confrontés à une demande élevée avec des ressources limitées.

Une alerte sanitaire

Les résultats publiés par l’Inserm font écho à un constat dressé par la Haute Autorité de santé en mai 2025. Selon son analyse, 57 % des événements indésirables graves liés aux soins chez les nouveau-nés, y compris les décès, auraient pu être évités. Cette proportion, plus d’un cas sur deux, confirme que la mortalité néonatale est largement évitable et qu’elle dépend de facteurs organisationnels et structurels.

Pour Jennifer Zeitlin, il y a urgence à agir : « Notre étude montre à quel point les populations défavorisées sont en première ligne face à la mortalité néonatale et souligne l’urgence de mettre en place des mesures de santé publique ciblées sur les zones à haut risque. »

Cibler les efforts

Les chercheurs appellent à concentrer les efforts dans les territoires les plus touchés. Ils préconisent de réaliser des audits locaux de l’offre de soins périnatale afin d’identifier les zones où la mortalité est la plus élevée et d’y adapter les moyens.

Les leviers d’action sont connus, mais nécessitent des investissements : renforcer les effectifs médicaux et paramédicaux, améliorer la formation des équipes et moderniser les infrastructures. « Un renforcement des effectifs, une meilleure formation des soignants et des infrastructures adaptées », souligne Jennifer Zeitlin.

Fracture dès la naissance

L’étude met en évidence que la survie des nouveau-nés en France reste fortement liée au territoire de naissance et au contexte socio-économique des familles. Dans les communes défavorisées, le risque de décès au cours du premier mois de vie est nettement plus élevé.

La mortalité néonatale apparaît ainsi comme un indicateur des inégalités sociales, en montrant que celles-ci s’expriment dès les premiers jours de vie. Pour les chercheurs, la réduction de ces écarts constitue à la fois un objectif de santé publique et un enjeu d’équité, afin de garantir à chaque enfant les mêmes chances de départ.


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