Valérie Depadt, Université Sorbonne Paris Nord et Michael Grynberg, AP-HP

En 2019, plus de 27 000 enfants sont venus au monde en France grâce à des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP, parfois qualifiée de « procréation médicalement assistée » ou PMA), ce qui représente 3,7 % des naissances globales. Contrairement aux idées reçues, dans l’immense majorité des cas (95 % environ), les enfants conçus par ces techniques le sont avec les gamètes des deux parents.

Bien que le recours à un tiers donneur soit très minoritaire, le don de gamètes ou d’embryon pose des questions d’ordre psychologique, juridique et pratique. Il n’est donc pas surprenant que, dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique, la question de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ait particulièrement retenu l’attention.

Entre divergences d’opinions, analyses critiques et revendications, le sujet a largement occupé les débats, jusqu’à l’adoption du texte, le 2 août 2021.

Cette loi a introduit plusieurs évolutions majeures, ouvrant notamment l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées.

Mais après quelques mois de mise en application des nouveaux textes, les professionnels doivent faire face à un certain nombre de problèmes. Entre afflux de dossiers et délais de traitement, dans la réalité des services d’AMP, ces dispositions nouvelles sont difficiles à concrétiser.

Révision de la loi de bioéthique : des évolutions attendues

Supprimant la condition d’infertilité médicalement diagnostiquée qui conditionnait jusqu’ici l’accès des couples aux techniques d’AMP, le nouveau texte de loi introduit également deux évolutions, parmi d’autres mesures phares : il ouvre l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées (c’est-à-dire célibataires, pacsées ou en concubinage), et crée d’un droit d’accès aux origines au bénéfice des personnes conçues par AMP exogène (qui font appel à des dons de gamètes).

Ces personnes sont désormais en droit, lorsqu’elles atteignent l’âge de la majorité, d’accéder à des données non identifiantes sur le tiers donneur (voire les tiers donneurs en cas d’accueil d’embryon) ou à son identité. En cas de refus d’accepter cette transmission future des informations, le don ne peut avoir lieu.

Du point de vue des médecins et biologistes de la reproduction, ces deux dispositions constituent une avancée réelle, attendue depuis de longues années. Le droit antérieur les réduisait en effet au rôle d’accompagnants pour des femmes en couple ou célibataires qui allaient se faire traiter à l’étranger. Mais l’augmentation des demandes qui en a résulté a notamment eu pour conséquence d’allonger les délais.

Des demandes en hausse

Depuis la promulgation de la loi, les services d’AMP enregistrent un nombre de demandes sensiblement augmenté par l’arrivée dans le circuit des couples de femmes ou des femmes non mariées : cette année, 3 500 dossiers supplémentaires ont été déposés, selon l’entourage du ministre de la Santé Olivier Véran, cité par l’Agence France Presse en septembre, alors que les autorités s’attendaient plutôt à un millier de demandes supplémentaires (en 2019, selon l’Agence de la Biomédecine, 1 309 dossiers avaient été déposés par des couples en attente de don d’ovocyte, et 2017 dossiers concernaient des couples en attente de don de spermatozoïdes. Suite aux nouvelles dispositions de la loi, les demandes ont donc plus que doublé).

Le risque annoncé d’une baisse des donneurs consécutive à l’ouverture du droit d’accès aux origines pour les personnes concernées apparaît cependant ne pas se réaliser : les dons s’avèrent en augmentation et, par voie de conséquence, les délais d’attente des CECOS en diminution. La médiatisation de la loi et les campagnes d’informations initiées par l’Agence de la biomédecine semblent avoir sensibilisé les donneurs potentiels.

Cette situation est particulièrement heureuse, dans la mesure où la plupart des pays qui pratiquent l’AMP avec tiers donneur ont pallié l’insuffisance de leurs stocks de gamètes par le recours aux banques de sperme, ce que la loi française interdit. En effet, ces compagnies privées, basées au Danemark, États-Unis ou Angleterre, commercialisent des « paillettes » de spermatozoïdes à partir de multiples donneurs rémunérés. Si les modalités de fonctionnement de ces banques, notamment d’un point de vue sanitaire, ne posent pas problème, il n’en va pas de même de ces dons qui ne répondent pas au principe de gratuité imposé par l’État français.

Le double mouvement d’augmentation des demandes de gamètes et de baisse des donneurs paraît donc évité, mais la question des délais d’attente n’est pas pour autant résolue. Alors que la réflexion bioéthique consiste à déterminer si le techniquement possible est socialement souhaitable, risque de se poser la question de savoir si le socialement acquis est techniquement possible…

La réalité du terrain biomédical

La sous-estimation par le gouvernement de l’augmentation du nombre de demandes consécutive à l’ouverture de l’AMP et, par suite, des besoins en personnel et matériel des centres habilités à les prendre en charge a entraîné des difficultés pour la majorité des femmes souhaitant recourir à ces techniques.

À l’heure actuelle, on dénombre moins de 30 centres de don sur le territoire métropolitain. En fonction du lieu de résidence, les délais varient sensiblement, tant pour un premier rendez-vous que pour la délivrance des paillettes de sperme. Le cas des protocoles d’AMP avec dons de spermatozoïdes illustre bien le problème : selon les centres et les régions, les délais peuvent s’étirer de 9 mois à… 3 ans !

Le plan d’accompagnement financier de 8 millions d’euros mis en place par les autorités permet d’assurer les besoins en matériel, mais il ne suffit pas à engager le personnel supplémentaire.

La situation est encore accentuée par les très larges conditions d’âge, qui autorisent des femmes dont les chances de procréer sont minimes à recourir à l’insémination avec donneur.

En avril 2021, Olivier Véran, interviewé par Sciences Po TV (la télévision des étudiants de Sciences Po), envisageait que la naissance des premiers bébés conçus par des couples de femmes se produisent au printemps « avant la fin du mandat » d’Emmanuel Macron. Mais combien de printemps faudra-t-il à la majorité des couples et des femmes qui suivront pour bénéficier d’un don de gamètes ?

La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’horloge biologique ne laisse aucun répit aux femmes, avec un pic de fertilité atteint entre 20 et 30 ans, suivi d’une baisse progressive jusqu’à une réduction drastique de la capacité à concevoir au-delà de 40 ans. Le temps est une composante cruciale du succès en AMP et l’imposition des délais trop longs, faute d’avoir mal pensé la mise en application de la loi, pénalise les femmes en limitant leur chance d’avoir un enfant. Pour cette raison, nombreuses sont celles qui continuent à se tourner, à regret, vers l’étranger afin de pouvoir bénéficier d’une prise en charge dans des délais raisonnables, à savoir ceux qu’impose la technique.

Le recours à l’étranger toujours d’actualité

Outre la temporalité, le recours à l’AMP à l’étranger peut également avoir un tout autre motif : beaucoup de femmes refusent de se voir imposer un appariement des gamètes par les centres de dons, et préfèrent avoir la possibilité de choisir leur donneur en particulier.

L’appariement (sous-entendu « appariement des caractères phénotypiques », autrement dit de l’apparence physique) consiste à attribuer les gamètes d’un donneur dont les caractéristiques (couleur de peau ou groupe sanguin, par exemple) sont les plus proches possibles de celle du couple receveur.

En France, cet appariement est la norme, mais il se pratique sans encadrement légal ni accord des receveurs, qui n’en sont pas forcément informés et ne peuvent pas s’y opposer (l’amendement n°957 proposant que l’appariement ne puisse se faire qu’avec l’accord des parents a été rejeté par l’Assemblée nationale). Partant, cette pratique pénalise lourdement certains receveurs d’origines ethniques pour lesquelles les donneurs sont rares, en leur imposant des délais d’attente particulièrement longs. Ces derniers, qui sont au minimum d’un an (dans le cas de receveurs d’origine caucasienne), peuvent s’allonger de plusieurs années, jusqu’à atteindre 5 ans dans certains centres pour les receveurs non caucasiens, faute de donneurs.

Or, les règles en vigueur dans certains pays nordiques permettent aux couples concernés d’avoir leur mot à dire à propos de l’appariement : ils peuvent en effet consulter les caractéristiques physiques des donneurs et choisir les gamètes en fonction de ces critères. En France, une femme célibataire, blonde aux yeux bleus, se verra fournir des gamètes appariés, de telle sorte que son enfant soit blond aux yeux bleus. Dans les pays nordiques, elle pourrait décider d’avoir un enfant brun aux yeux sombres. Cette possibilité de choix constitue une motivation pour réaliser une AMP à l’étranger.

La démarche d’appariement, à l’origine justifiée par la volonté d’entretenir le secret de l’AMP, y compris vis-à-vis de l’enfant, demeure-t-elle justifiée aujourd’hui ? La question se pose.

Élargir les possibilités de prise en charge

Certaines femmes souhaitent recourir à la technique de la ROPA (réception de l’ovocyte par la partenaire), par laquelle une des deux mères porte un embryon conçu grâce à l’ovocyte de sa partenaire, suite à un don de sperme. Il paraissait logique à la communauté médicale que, dans un pays où le don d’ovocytes était légal, l’ouverture du don de sperme pour les femmes en couple ou célibataires puisse donner accès à cette technique (qui ouvre également la possibilité d’une filiation génétique pour les hommes transgenres). Mais le législateur en a décidé autrement, arguant qu’une telle possibilité de don partagé s’opposerait au principe d’anonymat entre donneurs et receveurs (que le droit d’accès aux origines n’a d’aucune façon impacté).

Sans entrer dans les méandres d’un débat complexe, relevons que la ROPA apporterait une autre solution que le don d’ovocytes dans l’hypothèse où la femme s’apprêtant à porter l’enfant du couple souffrirait d’une déficience ovocytaire.

Devant cette situation plus que difficile, tant pour les femmes que pour les centres d’AMP qui pratiquent le don de sperme, il est urgent d’élargir les possibilités de prise en charge. Une évolution en ce sens passera inéluctablement par une refonte du système du don de gamètes, qui doit être autorisé pour l’ensemble des centres d’AMP désirant le mettre en place, publics comme privés.

L’accès à la parenté attendu de longue date par les couples de femmes et les femmes non mariées est aujourd’hui légalement admis. Mais l’existence de la loi ne suffit pas : encore faut-il que ses conditions d’application lui permettent d’atteindre ses objectifs, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle…

Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris Nord et Michael Grynberg, PU-PH, chercheur au sein de l’équipe physiologie de l’Axe Gonadotrope - U1133 INSERM, chef du service de médecine de la reproduction et préservation de la fertilité - hôpital Jean Verdier, AP-HP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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