Le dernier rapport d’Addictions France lève le voile sur l’ampleur du phénomène des paris sportifs : bonus alléchants, influenceurs et culture sportive sont utilisés pour séduire les mineurs. Une mécanique publicitaire redoutable qui alimente les risques d’addiction.
Malgré l’interdiction formelle, près d’un cinquième des garçons de 17 ans ont déjà parié en ligne. Ce constat, révélé par le rapport d’Addictions France publié le 15 septembre, témoigne de l’ampleur d’un phénomène qui s’étend bien au-delà des écrans. En l’espace de quelques années, les opérateurs de paris sportifs ont réussi à banaliser une pratique autrefois marginale, en faisant des mineurs une cible privilégiée d’un marketing massif et souvent trompeur.
L'enquête s’appuie sur plus de 3 000 contenus analysés entre mars 2023 et mars 2025, dont la grande majorité diffusée par des influenceurs. Ces derniers, souvent suivis par des millions d’adolescents, véhiculent les messages des opérateurs avec une efficacité redoutable. « La meilleure pour commencer à parier quand on est jeune, c’est la pub PMU », confie un adolescent interrogé. Derrière la légèreté apparente de ces témoignages se cache une réalité bien plus lourde : les jeunes sont happés dans une spirale où l’argent facile et le sport deviennent indissociables.
Le sport, cheval de Troie du marketing
Pour séduire, les opérateurs surfent sur la passion sportive. Le football occupe une place centrale, mais le basket, le tennis ou le MMA sont aussi mobilisés. « On préfère jouer à ça que le loto, parce que le loto, on ne connaît pas. Alors que là, on connaît, donc on joue sur le sport, c’est ce qu’on aime », explique un mineur. Les campagnes jouent aussi sur l’ancrage local : « Comme c’est sur notre ville, on se dit que ça peut nous arriver », raconte Karim, 15 ans.
Les émotions fortes sont systématiquement associées au pari : camaraderie, victoire, fête. L’idée s’impose qu’un pari, c’est soutenir son équipe. Karim poursuit : « On ne peut pas ne pas penser aux paris car on en voit partout, sur notre téléphone, à la télé, dans la rue, j’ai l’impression qu’on est un peu forcé de parier, c’est un peu gênant. »
Les opérateurs utilisent aussi la puissance des influenceurs et célébrités. Rappeurs, humoristes ou youtubeurs mettent leur notoriété au service des plateformes. « C’est important d’avoir quelqu’un en qui on a confiance, un sportif ou une célébrité », dit un jeune. Le rappeur Gradur ou l’influenceur Mohammed Henni, suivis par des millions d’abonnés, incarnent ce transfert de confiance.
Près de la moitié des jeunes dits « fragiles » sont déjà endettés à cause du jeu.
Une dérive aux lourdes conséquences
Pour les plus vulnérables, l’impact est brutal. Le rapport souligne que près de la moitié des jeunes dits « fragiles » sont déjà endettés à cause du jeu, certains allant jusqu’à commettre des délits pour financer leurs mises. D’autres ont exprimé des idées suicidaires. La répétition publicitaire, en renforçant la banalisation, contribue à cette spirale.
Les opérateurs mettent en avant le « jeu responsable » pour se couvrir, mais ces outils cohabitent avec des promotions agressives qui incitent à rejouer. L’illusion d’un contrôle individuel masque l’omniprésence d’un marketing conçu pour stimuler la dépendance.
Face à cette dérive, le rapport plaide pour une véritable « loi Evin des jeux d’argent ». L’idée est bien de s’inspirer de la loi Evin de 1991, qui avait encadré strictement la publicité pour l’alcool et le tabac, afin de l’appliquer aux paris sportifs et plus largement aux jeux d’argent. En d’autres termes, il s’agirait de mettre fin aux campagnes massives qui ciblent les mineurs, d’interdire les bonus financiers et de bannir le recours aux influenceurs et célébrités.
Les jeunes eux-mêmes en témoignent. « Les codes promo et les bonus incitent encore plus à jouer, c’est comme les soldes ! », reconnaît un mineur interrogé. D’autres soulignent l’effet d’entraînement des campagnes locales : « Comme c’est sur notre ville, on se dit que ça peut nous arriver », raconte Karim, 15 ans. Ces témoignages rejoignent un constat sans appel du rapport : pour 88 % des Français, la publicité sur les paris sportifs alimente le risque d’addiction, et pour 80 %, elle entretient l’illusion dangereuse de l’argent facile.
Sans encadrement fort, l’illusion de l’argent facile continuera de piéger les mineurs. Le rapport sonne l’alarme : il reste à savoir si le législateur aura le courage de siffler la fin de la partie.