Après la Métropole de Lyon, les départements de Haute-Garonne, de Loire-Atlantique, de la Gironde et la collectivité de Martinique, le département de Meurthe et Moselle a lancé le revenu d’émancipation jeunes, une allocation de 500 euros délivrée pendant 6 mois renouvelable une fois pour les jeunes de 16 à 25 ans ayant peu de revenus. Visant l’autonomie, l'émancipation sociale et citoyenne des jeunes, cette aide est audacieuse car sans contreparties.

Les bilans réalisés sur la Métropole de Lyon et le département de Loire Atlantique dressent un bilan positif avec un effet tremplin en Loire Atlantique où un bénéficiaire sur deux n’est pas connu des institutions. D’autres collectivités territoriales proposent des aides ou étudiantes, proches du Revenu Minimum Étudiant : Grande-Synthe, Longwy, Dijon, Cholet…

Ces soutiens aux revenus des jeunes interrogent l’orientation du soutien apporté aux jeunes, ciblé en priorité sur l’emploi, et bien moins vers une ambition plus universaliste et inclusive.

Face à la spirale de la précarité, phénomène structurel, les collectivités lancent des expérimentations, permises par la révision constitutionnelle de 2003. Selon l’Insee, en 2019, 840 000 jeunes (soit 15 %) sur 5,5 millions de jeunes âgés de 18 à 25 ans et environ 300 000 bénéficiaires potentiels sans aucun revenu (soit 66% des Neet) étaient ni en emploi, ni en éducation, ni en formation (« NEET »). Avec plus d'un quart des jeunes vivant sous le seuil de pauvreté en France (DARES), chez les 18 à 29 ans, ce taux a augmenté de 50% entre 2002 et 2018.

Les expérimentations territoriales pointent la « familiarisation » de l'action publique (droits attribués à la famille et non pas individuels : allocations familiales jusqu'à 20 ans, quotient familial, demie part fiscale, absence de limite d'âge pour l’obligation alimentaire, bourses sur critères sociaux pour les jeunes en études …) et surtout l’exclusion des moins de 25 ans du RSA (comme trois autres États membres de l’UE : Espagne, Chypre, Luxembourg). Le Défenseur des droits dénonce régulièrement cette discrimination par l'âge.

Cette faille de la solidarité nationale révèle en fait l’absence de réponses structurelles en direction des moins de 25 ans. Et ce malgré les rapports (Fondation Jean Jaurès en 2016, Schweitzer en 2018, COJ en 2019, Charvet 2021), le programme d’un candidat (Hamon) aux Présidentielles de 2017, les tentatives parlementaires (proposition de loi en 2012 visant à étendre le revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans, proposition de loi d'expérimentation territoriale en 2018 visant à instaurer un revenu de base en 2018, proposition de loi en 2021 relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire- AILES).

Par ailleurs, le millefeuille de dispositifs est illisible pour les jeunes (chaque dispositif ayant des critères d'âge, de statut, etc.), la complexité d'accès, la non-connaissance entraînant le non-recours. Par exemple, le parcours en CEJ n’est pas adapté à toutes les situations (accompagnement trop lourd et contraignant...). L'automaticité et l'inconditionnalité sont souvent évoquées pour permettre de lutter contre le non-recours et au-delà, l'invisibilité des publics (Cf. Rapports de l’Odenore).

Depuis les lois de décentralisation en 1981, les Départements ont la gestion des collèges et des aides afférentes, d'où les nombreuses actions centrées sur le public des collégiens. La loi Égalité et Citoyenneté de 2017 a désigné les Régions comme chef de file des politiques de jeunesse. Et la loi du 27 janvier 2014, a confirmé les Départements dans leur rôle de chef de file en matière d'action sociale (protection sociale, insertion professionnelle, aide au logement). Toutefois, en raison du ciblage de leur action sur certaines franges de la population jeune, ces collectivités participent à la fragmentation des politiques publiques de jeunesse (Labadie, 2001) qui, s'agissant des départements se réduisent au périmètre des collèges ou à celui de l’action sociale.   

« On n’a rien sans rien, il faut des obligations, des contreparties, un contrat… » sont des verbatims entendus dans l'écosystème de l’insertion. Le soutien aux jeunes doit en fait s’ouvrir dans une perspective plus systémique, selon une approche globale et extensive pour évoluer vers une politique de Jeunesse à visée (et vertu) éducative/pédagogique et émancipatrice. Il est trop restrictif d’enfermer cette politique dans le paradigme de l’action sociale. Bien plus qu’un simple dispositif d’accompagnement et d’aide à l’insertion socio-professionnelle en lien avec le retour à l’emploi, la transversalité de cette politique doit permettre son croisement avec d’autres politiques publiques : accès aux droits, santé et soin, éducation, culture, sport, sport santé, éducation populaire, promotion de l’engagement et de la citoyenneté.

Ainsi, le soutien aux revenus des jeunes (dont la forme, l’amplitude et la durée restent encore à définir) pourrait répondre à deux enjeux principaux.

Le premier est la mise en confiance et la mise en mouvement des jeunes sur leur chemin vers l’autonomie, soutien non conditionné par la perspective d'un retour à un emploi mais par l’engagement adossé à des propositions d’opportunités (bien loin de contreparties d’un contrat) dans le cadre d’ateliers et de temps forts sur des thèmes variés : écoute, culture, santé, sport, etc.

Le second, c’est la proximité territoriale de ces propositions simples et souples pour explorer les possibles et les opportunités d’engagement (événements culturels et sportifs, festivals, bénévolat…), qui sont autant d’amorces et de leviers pour découvrir et accéder aux nombreux dispositifs de droit commun : contrat d’engagement jeunes, PACEA, service civique, SNU, réserves, promo 12-25 de l’AFPA, École de la deuxième chance, Epide (établissement pour l'insertion dans l'emploi), service militaire volontaire….

De tels enjeux exigent la transversalité dans la mobilisation des acteurs sur les territoires.

Près de 120 acteurs se sont mobilisés sur la Métropole Lyonnaise pendant 3 mois pour définir les constats, les enjeux, les attentes et les principes. La transversalité doit caractériser cette mobilisation à l’échelle d’un territoire de manière à favoriser l’interconnaissance entre acteurs et l’appropriation collective de la mosaïque des besoins, des situations et des publics pour mieux définir la stratégie pertinente à mettre en œuvre et adopter un meilleur positionnement. Avant de savoir si tel ou tel sera prescripteur ou opérateur, de nombreux acteurs peuvent être invités à participer à la co-construction : les acteurs de l'État déconcentré (ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Agence régionale de santé..), organismes de Sécurité sociale (CPAM, CAF…), acteurs des collectivités territoriales au contact des jeunes (assistants sociaux CCAS, services jeunesse, structures Information jeunesse, espace de vie sociale, services sociaux départementaux, services hospitaliers, scolaires et universitaires, service de probation, service de tutelles, prévention spécialisée…), les acteurs du logement (CAF, CLAJ, FJT, bailleurs, résidences UNAJH), les acteurs de l’alimentation (épiceries sociales, Banque alimentaire, Restos du Coeur, ATD quart monde…), les acteurs de solidarité (FAS, CHRS…), les acteurs de santé (CPAM, Mutuelles, PAEJ, maison des ado, maison des addictions, France asso santé, uriopss…), les fédérations d'éducation populaire (dont les MJC), le monde associatif, les acteurs de la formation…

Bien plus qu’un déploiement assorti d’une communication politique, le développement et la mise en œuvre de ce revenu sont conditionnés par le temps consacré au partage de points de vue et à l’écoute mutuelle pour fédérer et co-construire un diagnostic partagé, co-définir des enjeux et un positionnement commun avec des critères d’évaluation dès le début de la mobilisation transversale. Pour participer à l'émancipation des jeunes, ce temps de la pédagogie, de la confiance et de l'émancipation des acteurs est indispensable pour contourner les résistances, les réticences des acteurs et des institutions…

Auteur : Oliver Blaise, Politiques publiques, espaces d’écoute et d’accompagnement des jeunes sur les territoires

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