Les plans de gestion des pleurs du nourrisson visent à prévenir les traumatismes crâniens non accidentels, également appelés syndrome du bébé secoué. Une étude nationale, menée par l’Université Paris Cité, l’Inserm, l’AP-HP, Santé publique France et le CHU de Nantes et publiée dans la revue « Child Abuse & Neglect », a révélé que le plan de gestion des pleurs du nourrisson est remis à seulement une mère sur deux en maternité en France.
Chaque année en France, des centaines de nourrissons sont hospitalisés pour des traumatismes crâniens infligés. Ces blessures ne doivent rien à des accidents et sont la conséquence d’un secouement violent du bébé, un geste grave qui peut provoquer des lésions cérébrales irréversibles, des lésions oculaires, voire la mort.
On parle alors de syndrome du bébé secoué ou, plus récemment, de traumatisme crânien non accidentel, car on sait maintenant que le secouement n’est pas le seul mécanisme en cause. Au-delà de la violence du geste et de ses conséquences légales, c’est un problème de santé publique majeur qui révèle la difficulté d’accompagner et de soutenir les parents dans cette période souvent difficile des premiers mois de vie du bébé.
Allo Parents Bébé : 0 800 00 3 4 5 6
Service et appel gratuit : des professionnels de la petite enfance à votre écoute
- Les lundis, mardis, mercredis et vendredis de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures.
- les jeudis : uniquement de 14 heures à 18 heures.
Les pleurs du nourrisson
Depuis une trentaine d’années, les pleurs du nourrisson sont rapportés dans la littérature scientifique comme le principal facteur déclencheur des traumatismes crâniens non accidentels. Il est important de noter que cela ne veut pas dire que les pleurs entraînent le secouement, mais plutôt que l’instant des pleurs du bébé coïncide souvent avec le moment où le secouement se produit.
Les bébés pleurent naturellement et cette activité atteint son pic entre la cinquième et la sixième semaine de leur existence avant de décroître. C’est une forme de communication associée à son développement neurologique et à la gestion de ses émotions.
L’intensité, la répétition et la durée de ces pleurs peuvent déstabiliser certains parents. Par ailleurs, la fatigue et l’exaspération des parents face à ces pleurs peuvent générer un sentiment d’impuissance. Lorsque ce contexte émotionnel spécifique n’est pas accompagné, en particulier par des outils pour le gérer, il peut engendrer des situations à risque de secouement pour les bébés.
Les plans de gestion des pleurs : un levier de prévention
Face à ces constats, plusieurs pays dont la France ont mis en place des recommandations concernant la diffusion des plans de gestions des pleurs, notamment durant la période périnatale et à destination des futurs parents. Ces plans de gestion des pleurs ont pour objectif d’informer tous les parents durant la période périnatale sur la normalité et la temporalité des pleurs, leur donner des stratégies et des outils pour y faire face et rappeler la dangerosité des secouements.
Ainsi, trois messages essentiels sont mis en avant :
- les pleurs du nourrisson sont normaux, fréquents et transitoires ;
- il est sûr de poser le bébé, toujours sur le dos, dans son lit et de s’accorder une pause en s’éloignant si la tension devient trop forte ;
- en cas de détresse, il faut demander de l’aide à un proche ou à un professionnel.
Une étude réalisée à partir des données de l’Enquête nationale périnatale
Si les recommandations internationales existent, leur diffusion reste inégale. C’est à partir de ce constat que des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Université Paris Cité, de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP), de Santé publique France, du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nantes (Loire-Atlantique) et d’autres structures partenaires ont voulu évaluer la manière dont ces messages de prévention sont transmis aux parents en France et plus particulièrement aux mères. Ils se sont appuyés sur des données de l’Enquête nationale périnatale (ENP).
L’ENP est réalisée environ tous les cinq ans depuis 1995 afin de décrire les conditions de grossesse, d’accouchement et de naissance en France. L’édition 2021 s’est déroulée pendant une semaine, en mars, dans toutes les maternités de métropole et d’outre-mer. Ont été incluses environ 12 700 femmes, ces dernières ayant été suivies deux mois après la naissance.
Cette enquête est pilotée par l’Inserm et Santé publique France, sous l’égide du ministère de la santé (Direction générale de la santé, Direction générale de l’organisation des soins, Drees), et financée sur fonds publics. L’ENP fournit des données essentielles pour orienter les politiques de santé périnatale et évaluer les pratiques de soins. C’est à partir de ces données qu’a été menée notre étude.
Nous nous sommes intéressés à une question précise posée deux mois après la naissance :
« Durant la grossesse et depuis votre accouchement, avez-vous reçu des conseils pour calmer ou soulager les pleurs répétitifs ou prolongés de votre bébé ? »
Une mère sur deux déclare ne pas avoir eu cette information
Les résultats sont éloquents : parmi les plus de 7 000 mères ayant répondu à cette question, 50 % déclarent n’avoir reçu aucun conseil sur la gestion des pleurs des nourrissons. Parmi celles qui ont été informées, les principales sources citées étaient les médecins généralistes, les sages-femmes et les pédiatres (82 %), les équipes de maternité (63 %) et les services de protection maternelle et infantile (39 %).
L’étude révèle également de fortes disparités territoriales. En Nouvelle-Aquitaine, 44 % des mères n’ont pas reçu d’information, contre 56 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ces écarts s’expliquent sans doute par des différences d’organisation des réseaux périnataux plus que par le profil des mères.
Par ailleurs, certains groupes de mères apparaissent particulièrement peu informés :
- les mères de plus de 30 ans ;
- celles ayant déjà un ou plusieurs enfants ;
- celles n’ayant pas suivi de séances de préparation à la naissance ;
- et celles n’ayant pas bénéficié de visite postnatale à domicile.
Les auteurs interprètent les deux premiers facteurs comme pouvant refléter des biais implicites. Certaines mères plus âgées, ou ayant déjà des enfants, peuvent être perçues comme moins prioritaires par les soignants, ces derniers les considérant comme probablement déjà informées.
Plus généralement, les auteurs suggèrent que le constat de l’absence d’information d’une mère sur deux serait le signe d’un manque de structuration des contenus, lors des séances ou visites pré- et postnatales, qui ne sont pas standardisés au niveau national.
En effet, la France ne dispose pas encore d’un programme national structuré de diffusion des plans de gestion des pleurs disponibles en français. Des recommandations écrites figurent dans le carnet de santé, mais aucun protocole n’impose leur présentation systématique avant la sortie de maternité. Les parents souvent fatigués et parfois débordés après l’accouchement lisent peu les nombreuses documentations qui leur sont remises.
Pourtant, d’autres supports existent, notamment des vidéos en français, très bien faites et gratuites. La question d’une hiérarchisation des messages périnataux de prévention en fonction de la gravité des problèmes de santé ciblés se pose. Les messages les plus importants doivent probablement faire l’objet d’une délivrance à la fois pendant la grossesse, juste après l’accouchement et pendant les premières semaines de vie du nourrisson, pour optimiser leur bonne réception ou leur mémorisation par les deux parents.
Vers une prévention universelle
Les résultats de l’étude soulignent la nécessité d’une action de prévention structurée à l’échelle nationale. Les chercheurs plaident pour la mise en place d’un programme cohérent, reposant sur des outils existants et validés.
Plusieurs leviers d’action peuvent être mobilisés :
- renforcer la formation des professionnels de santé et de la petite enfance afin qu’ils remettent et expliquent systématiquement les plans de gestion des pleurs aux parents ;
- impliquer plus largement les réseaux périnataux dans la diffusion de ces messages ;
- et envisager, à terme, une remise obligatoire ou le visionnage de ces documents et outils avant le retour à domicile.
Prévenir le syndrome du bébé secoué ne se limite pas à transmettre une information ponctuelle. Il s’agit de construire une culture commune de prévention autour du nourrisson, partagée par les professionnels, les institutions et les familles.
Cet article a été rédigé collectivement par Luc Goethals (Inserm), Flora Blangis (Inserm, CHU de Nantes), Sophie Brouard (Inserm, CHU de Nantes), Pauline Scherdel (Inserm, CHU de Nantes), Marianne Jacques (Inserm, CHU de Nantes), Marie Viaud (Inserm), Nolwenn Regnault (Santé publique France), Karine Chevreul (Inserm, Kastafiore), Camille Le Ray (Inserm, Université Paris Cité, AP-HP, Hôpital Cochin), Enora Le Roux (Inserm, Université Paris Cité, AP-HP, Hôpital Universitaire Robert-Debré), Martin Chalumeau (Inserm, Université Paris Cité, AP-HP, Hôpital Necker-Enfants malades) et le Groupe de travail ENP 2021(Inserm).