Claude Roméo est directeur départemental honoraire Enfance et Famille de la Seine-Saint-Denis, ancien conseiller technique auprès des ministres de l’Enfance.

Tel est le diagnostic de la santé de la protection de l’enfance après la période estivale. Le tableau clinique est de 30 000 postes vacants, 32% des enfants confiés à l’ aide sociale à l’enfance (ASE) souffrent de troubles psychiques faute de place en pédopsychiatrie, des délais d’attente de 1 an pour mettre en œuvre des mesures éducatives prononcées par la justice. À cela, ajoutons des centres de formation ayant du mal à recruter des candidats et 10% d’entre eux qui abandonnent la formation au bout d’une année. La politique de prévention quasi inexistante, 17 ans après la loi de protection de l’enfance de mars 2007, manque de structures pour répondre aux besoins des enfants.

Sur le plan financier, la situation n’est guère meilleure avec la réduction des financements des droits de mutations. On apprend par ailleurs que le Fonds national de financement de la protection de l’enfance (FNPE) , que j’avais plaidé auprès du ministre Philippe Bas lors de la loi de mars 2007, n’a jamais été versé aux Départements. S’y ajoutent les 145 millions d’euros correspondant à l’allocation de rentrée scolaire non versée aux jeunes de l’aide sociale à l'enfance (ASE) à la sortie du dispositif.

Tout cela aboutit à une conclusion qui sonne comme un acte d’accusation du rapporteur de la mission du Sénat, qui souligne « le gouvernement détenteur du pouvoir réglementaire national, semble se désengager des missions qui sont les siennes et qui concourent à bonne politique de la protection de l’enfance ».

Un silence étonnant de la ministre

Depuis plusieurs semaines, des alertes sur la situation ont été faites. Ce sont 24 Présidents de conseils départementaux qui insistent sur la nécessité de faire un bilan exact de la protection de l’enfance en organisant des États Généraux, d’abord au niveau départemental et ensuite au niveau national en veillant à y associer les professionnels, les associations habilitées protection de l’enfance, les services de l’Etat, la justice. A ce jour, aucune suite donnée !

La Présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) nommée et chargée par le gouvernement pour être une instance de conseil et de propositions, avec sa collègue du Conseil national de l’adoption (CNA) ont adressé un courrier à la secrétaire d’Etat indiquant que « nous traversons une crise sans précédent qui appelle, de notre point de vue, des réponses immédiates et concertées ». Elles concluent sur « l’impossibilité de garantir la protection des enfants en danger sur de nombreux territoires ». Elles demandent un plan Marshall pour la protection de l’enfance et sollicite une entrevue immédiate avec la Secrétaire d’État qui a eu lieu le 22 septembre. A l’heure où est rédigé cet article, nous ne connaissons pas les suites données à leurs propositions.

L’UNIOPSS qui fédère toutes les associations du secteur sanitaire et social en France, dont la protection de l’enfance, publie un communiqué « les alertes ne se multiplient pas, elles sont permanentes et l’ensemble des acteurs peinent à entrevoir une issue positive ». Elle cite « des mesures d’accompagnement différées où ne correspondant pas ni au projet pour l’enfant, ni à celui des établissements et services ».

Concrètement, ce sont des enfants pour lesquels une décision de placement a été ordonnée, mais pour autant maintenus au domicile des parents à défaut d’être confiés. L’UNIOPSS conclut « pour sortir de cette crise inédite et aborder les droits des enfants de manière globale…. appelle à l’organisation rapide des Assises de l’Enfance ».

Que se passe-t-il ?

Voilà plusieurs mois que des instances au niveau national et international alertent sur les politiques publiques en matière de protection de l’enfance.
Ce fut d’abord le Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui adresse ses observations en juin 2023 et qui malgré quelques avancées, demande au
gouvernement français d’adopter des mesures d’urgence pour faire des droits de l’enfant les plus vulnérables sa priorité, pour les protéger contre toutes formes de violences.

Ensuite, ce fut l’UNICEF qui s’inquiétait que 1900 enfants dorment dans la rue faute de mise à l’abri, alors que le Président de la République s’était engagé à ce que cela n’arrive à aucun enfant. 10 000 enfants non scolarisés, 2,8 millions vivant sous le seuil de pauvreté.

Dans le même cadre, la Défenseure des Droits témoigne que «l’écart est encore grand entre les droits proclamés (de l’enfance) leur application concrète au plus près des enfants ! ».

Face à ces cris d’alertes nous pouvions espérer une rapide réaction du gouvernement pour répondre aux inquiétudes… malheureusement à ce jour aucune déclaration officielle, ni de la secrétaire d’État, ni de la Première ministre à laquelle elle est rattachée.

Au mois de juillet 2023, c’est la mission d’information du Sénat qui rend public son rapport sur l’application des lois de protection de l’enfance et qui indique le décalage entre les lois ambitieuses et leurs mises en œuvre très imparfaites. Elle ajoute « que c’est à l’État de faire en sorte que la justice en assistance éducative possède les moyens de suivre les enfants de façon optimale. Le nombre de dossiers par juge atteint souvent les 600, soit le double des recommandations prônées par des référentiels en la matière ». Elle rappelle aussi que pour les Départements, la politique de protection de l’enfance ne peut être une compétence facultative. Enfin les professionnels de la protection de l’enfance portent une grande responsabilité dès lors que le respect des lois dépend de leurs pratiques.

Aucune réponse de l'État

Face à ces cris d’alertes nous pouvions espérer une rapide réaction du gouvernement pour répondre aux inquiétudes…malheureusement à ce jour aucune déclaration officielle, ni de la secrétaire d’État, ni de la Première ministre à laquelle elle est rattachée.

Le silence de l’Assemblée des Départements de France (ADF) ne favorise pas d’exigence de la part de l’État pour soutenir les propositions des 24 Présidents des Conseils Départementaux.

Faut-il un événement dramatique comme les infanticides qui se sont déroulés récemment, mobilisant l’opinion publique, pour que l’on prenne au sérieux ce mécontentement dont on peut craindre qu’à force de ne pas être entendu, cela débouche sur une explosion sociale !

Une conclusion s’impose, celle de Jean-Pierre Rosenczveig, ancien Président du tribunal pour enfants de Bobigny dans son blog du journal Le Monde qui conclut « Quels objectifs s’assigne- t-on au titre du droit à la protection, pas seulement parce que les enfants sont l’avenir de la société, mais parce qu’ils sont ici et maintenant comme des personnes ».