Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon a développé un algorithme afin de repérer les enfants âgés de 0 à 5  ans, ayant bénéficié d’une hospitalisation en raison de lésions qui pourraient avoir été occasionnées par une maltraitance physique. Explications.

Le Bulletin épidémiologiste hebdomadaire (BEH) de Santé publique France a publié, le 17 mai, une étude menée par le CHU de Dijon visant à tester la pertinence d'un algorithme permettant de repérer les enfants âgés de 0 à 5 ans, ayant bénéficié d’une hospitalisation en raison de lésions pouvant être consécutives à une maltraitance physique. Le dispositif repose sur l’utilisation du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), base de données des hôpitaux et cliniques, dans laquelle sont recensées et codées les pathologies et lésions constatées sur chaque patient. L'équipe pluridisciplinaire du CHU de Dijon chargée de ce projet est composée d’épidémiologistes, statisticien et médecins légistes dont certains sont également psychiatres, et dispose d’une expérience dans l’utilisation des bases de données médico-administratives pour l’étude des phénomènes épidémiologiques notamment dans le domaine de la périnatalité.

« Repérer une maltraitance qui ne saute pas aux yeux »

Pourquoi cibler les enfants de 0 à 5 ans ? Les auteurs de l'étude expliquent que chez le grand enfant et l’adolescent, les maltraitances physiques sont plus difficiles à repérer et les traumatismes moins spécifiques et moins graves que chez le jeune enfant.  « Il est aisé, chez un enfant en bas âge, du fait de ses capacités motrices, de repérer les situations où l’enfant n’est pas en mesure de se blesser seul », précisent-ils.  

L'algorithme pourrait permettre de «repérer une maltraitance qui ne saute pas aux yeux». Testé sur les dossiers d’enfants de 0 à 5 ans étant passés au CHU de Dijon entre 2008 et 2019, cet outil d'intelligence artificielle classe les enfants en deux groupes. Dans le groupe 1 "maltraitance hautement probable", l’enfant présente, au moment de son hospitalisation, des lésions traumatiques étiquetées comme volontaires. Dans le groupe 2 "maltraitance suspectée", il présente des lésions traumatiques qui semblent suspectes d’une maltraitance physique, par leurs caractéristiques ou leur nombre, sans l’être suffisamment pour l’inclure dans le premier groupe.

Parmi les enfants âgés de 0 à 5 ans hospitalisés, 170 ont été identifiés par l’algorithme comme ayant présenté une hospitalisation en lien avec une maltraitance hautement probable ou suspectée : 54 pour le groupe 1 (maltraitance hautement probable) ; 102 pour le groupe 2 (maltraitance suspectée). De plus, 14 enfants supplémentaires ont été identifiés dans les deux groupes, et ont été placés dans le groupe 1, après avis collégial, en raison des lésions traumatiques présentées.  Pour évaluer la pertinence des résultats d l'algorithme, l’attribution des enfants aux groupes de "maltraitances probables" ou "suspectées" a ensuite été comparée aux diagnostics des médecins légistes qui ont réalisé, de manière collégiale, l'expertise médico-légale.

Les résultats se sont révélés fiables à environ 85 % dans les cas où l’algorithme avait identifié une "maltraitance hautement probable", et à 50 % dans le cas d’une "maltraitance suspectée".

Parmi les enfants du groupe 1 (maltraitance hautement probable), 93% avaient fait l’objet d’un signalement judiciaire.

Dans le groupe  1, environ un tiers des enfants ont été maltraités à plusieurs reprises avant d’être hospitalisés à l’occasion d’un épisode de blessures plus graves qu’à l’accoutumée. Pour le groupe 2, on atteint 40% des enfants. Dans le cas de violences physiques sur de jeunes enfants, «les lésions ne sont pas toujours très spécifiques : ce peuvent être par exemple des ecchymoses qui ne vont pas forcément interpeller les professionnels», d’autant que les médecins urgentistes ne connaissent pas les antécédents du jeune patient, a expliqué, Catherine Quantin, épidémiologiste et biostatisticienne, l’une des auteurs de l’étude, lors d'un point presse. Mais, « si l’enfant est venu plusieurs fois à l’hôpital », et que le dispositif repère une répétition de « lésions un peu étranges », il peut donner l’alerte, a poursuivi Mélanie Loiseau, co-autrice de l’étude et spécialiste en médecine légale. La maltraitance est plus probable si les lésions constatées sont d'« âges différents ». A noter que parmi les enfants du groupe 1 (maltraitance hautement probable), 93% avaient fait l’objet d’un signalement judiciaire.

Les équipes du CHU reconnaissent que leur étude présente certaines limites. « L’utilisation du PMSI limite l’étude aux seuls cas d’enfants hospitalisés pour maltraitance physique, notre étude ne prend donc pas en compte les cas d’enfants victimes de maltraitance physiques n’ayant pas été pris en charge à l’hôpital. Par définition, notre outil ne permet pas le repérage des autres types de maltraitance (psychiques, sexuelles etc.), notre étude est donc restreinte à une partie des enfants victimes de maltraitance », expliquent-ils. Les résultats de l'étude semblent être très prometteurs. « L’algorithme développé est un outil prometteur pour le repérage de la maltraitance physique chez les jeunes enfants lors d’un séjour hospitalier. En effet, la valeur prédictive positive de l’algorithme permettant d’identifier les cas de maltraitance hautement probable semble supérieure à 80%, quel que soit l’âge étudié (entre 0 et 5 ans) », se satisfait l'équipe du CHU de Dijon.

Prochaine étape : une étude à plus grande échelle devrait être réalisée pour confirmer ces observations et afin de savoir s’il faut envisager des actions pour améliorer le recueil des données relatives à la maltraitance physique. A l'heure actuelle, si «l’identification des cas suspects de maltraitance reste à affiner», l’outil semble déjà au point « pour les enfants de 1 mois à 1 an », considèrent les auteurs de l’étude.