Dans une lettre ouverte adressée, le 1er septembre, à Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'Enfance, 24 présidents de conseils départementaux expriment leurs inquiétudes sur la situation de la protection de l'enfance et appellent l'État à ses responsabilités.

« La période estivale qui s’achève a été une fois de plus extrêmement difficile pour la protection de l’enfance : les lieux d’accueil d’urgence sont saturés, les professionnels travaillent dans des conditions dégradées, et les demandes de protection en attente s’accumulent. Cet état paroxystique souligne de façon criante les problématiques structurelles de cette politique publique. Aujourd’hui, c’est toute la chaîne de la protection de l’enfance qui est enrayée, avec des conséquences désastreuses et irrémédiables pour les enfants et leurs familles ».

Par ces quelques lignes de la lettre ouverte adressée à Charlotte Caubel en date du 31 août, 24 présidents de conseils départementaux de gauche* font entendre leur « grande inquiétude ». Les élus interpellent la secrétaire d'État chargée de l'Enfance alors qu'elle devrait présenter cet automne le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027.

Les signataires du courrier rappellent qu'en 2022 la dépense nette de protection de l’enfance a augmenté de 6,9 % au niveau national, reposant principalement sur les finances des Départements. Certains d’entre eux ont même augmenté leur budget dans ce domaine de près de 70 % entre 2015 et 2023, ce qui en fait alors le premier poste de dépense.

Selon l’enquête 2023 sur les dépenses départementales d’action sociale et médico-sociale, l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS), en 2022, la dépense nette de protection de l’enfance atteint désormais 8,86 milliards d’euros contre 8,29 Milliards d’euros l’année précédente. Le nombre de jeunes pris en charge évoluant peu (+ 1,4 % d’enfants et jeunes accueillis, - 0,7 % accompagnés suivis à domicile), cette progression est essentiellement liée aux revalorisations salariales des personnels des établissements et services ainsi que des assistants familiaux. Quelques départements signalent cependant des ouvertures de places en établissements ou en accueil à domicile.

"Les situations de carences dans la prise en charge au titre de la solidarité nationale sont nombreuses"

Les 24 présidents de conseils départementaux appellent l'État à assumer sa part de responsabilités dans la politique de protection de l'enfance, jugeant que les Départements « ne peuvent et n’ont pas, à eux seuls, à transformer en profondeur cet écosystème en crise ». Ils arguent que si les Départements sont chefs de file de la protection de l’enfance, la mise en œuvre de cette politique doit, suivant les parcours et la spécificité des situations, « s’articuler avec d’autres politiques publiques qui relèvent de l’État » : de l’Éducation nationale aux Agences régionales de santé, en passant par la justice et la Protection judiciaire de la jeunesse. « La réussite de la prise en compte de ces enfants implique que chacun fasse sa part. Or, les situations de carences dans la prise en charge au titre de la solidarité nationale sont nombreuses, comme le soulignait récemment le Défenseur des droits : "les réponses institutionnelles ne sont pas à la hauteur des enjeux et portent atteinte aux droits fondamentaux des enfants" ».

Les auteurs de la tribune soulignent également l'urgence de revoir le financement de la politique de protection de l'enfance dont « la décentralisation n’a pas été poussée jusqu’au bout ». « Les Départements n’ont pas l’autonomie financière suffisante pour mener à bien leurs missions en l’absence de levier fiscal et de dotations financières dépendantes de la conjoncture économique », écrivent-ils. Les élus considèrent, de fait, que l’inscription dans la loi de nouvelles missions dévolues aux services d’aide sociale à l’enfance doit être « systématiquement assortie de la garantie de l’État » d'octroyer aux Départements « des moyens financiers adaptés » dévolus aux conseils départementaux. Et de citer pour exemple : l’accompagnement des jeunes majeurs, devenu une priorité depuis la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Pour rappel, les charges supplémentaires, qui découlent de cette "fin des sorties sèches de l'ASE", donnent lieu à une compensation financière de la part de l'État à hauteur de 50 millions d'euros répartis entre les départements.

 « Une action prioritaire doit également être menée sur l’attractivité des métiers du lien, chantier indispensable pour que ces professions soient reconnues à la hauteur de leur utilité sociale, alors que la protection de l’enfance connaît une grave crise des vocations. Cette situation alarmante mérite des transformations nationales rapides des modalités de formation et d’exercice pour redonner aux jeunes l’envie de s’investir dans ces professions indispensables à la cohésion sociale », insistent les présidents de Départements. Un an après la publication de son Livre Vert, le Haut conseil du travail social (HCTS) devrait remettre prochainement à La Première ministre et à la ministre des Solidarités, son Livre Blanc, comprenant des propositions opérationnelles pour donner un nouvel élan aux métiers du social.  

"Ces dernières années des évolutions législatives significatives ont été adoptées mais peinent à se concrétiser : nous souhaitons donc travailler ensemble à la déclinaison locale de ces ambitions partagées, en tenant compte de l’urgence dont nous connaissons les réalités et les priorités à établir sur nos territoires"

« Il n’est plus possible, il n’est plus supportable qu’il en soit ainsi dans notre République qui se veut égalitaire et fraternelle », déplorent les Départements signataires. Ils appellent donc de leurs vœux la mise en place d’« États généraux de la protection de l’enfance en 2024 » afin d’aboutir à « une stratégie interministérielle ambitieuse [qui] pourra répondre aux besoins des enfants ». « Ce temps d’échange et de réflexion partagé avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale à l’enfance, de la prévention, de la justice, de l’éducation et de la santé, sans oublier les enfants et leurs familles, est indispensable pour sortir collectivement de cette crise », défendent les auteurs de la lettre ouverte. Et de poursuivre : « Il permettrait d’aboutir à une feuille de route engageant plusieurs ministères et les collectivités autour de mesures concrètes et priorisées, assorties des moyens nécessaires pour garantir aussi bien à l’État qu’aux Départements et au secteur associatif habilité qu’ils soient à la hauteur de leurs missions ».

Alors que le gouvernement a mis en place, en novembre 2022, un comité interministériel à l'enfance piloté par Charlotte Caubel et qui s'est à nouveau réuni à Matignon en juin dernier, les Départements souhaitent que la réflexion inclue l'ensemble des acteurs. « Ces dernières années des évolutions législatives significatives ont été adoptées mais peinent à se concrétiser : nous souhaitons donc travailler ensemble à la déclinaison locale de ces ambitions partagées, en tenant compte de l’urgence dont nous connaissons les réalités et les priorités à établir sur nos territoires ». Et d'expliquer : « Notre démarche a pour objectif d’ouvrir un dialogue sur cette politique trop souvent négligée, dans l’intérêt des enfants, afin que notre société honore sa devise d’égalité et de fraternité ».

*La lettre ouverte est co-signée par 24 président.e.s de Départements : Christine Téqui (Ariège) ; Hélène Sandragné (Aude) ; Philippe Bouty (Charente) ; Christian Coail (Cotes-d’Armor) ; Germinal Peiro (Dordogne) ; Sébastien Vincini (Haute-Garonne) ; Philippe Dupouy (Gers) ; Jean-Luc Gleyze (Gironde) ; Kléber Mesquida (Hérault) ; Jean-Luc Chenut (Ille-et-Vilaine) ; Xavier Fortinon (Landes) ; Michel Ménard (Loire-Atlantique) ; Sophie Borderie (Lot-et-Garonne) ; Sophie Pantel (Lozère) ; Chaynesse Khirouni (Meurthe-et-Moselle) ; Fabien Bazin (Nièvre) ; Jean-Claude Leroy (Pas-de-Calais) ; Bruno Bernard (Métropole de Lyon) ; Hermeline Malherbe (Pyrénées-Orientales) ; Dominique Versini (Paris) ; Christophe Ramond (Tarn) ; Michel Weill (Tarn et Garonne) ; Jean-Claude Leblois (Haute-Vienne) ; Stéphane Troussel (Seine-Saint-Denis)