Le SNPES-PJJ/FSU dénonce un écart persistant entre annonces et réalité : pénurie de moyens, surcharge des équipes, dérive répressive. Pour le syndicat, la lettre du garde des Sceaux du 5 août illustre « la gestion de ce ministère : beaucoup de bruit et peu d’actes ».

Le 8 août 2025, le SNPES-PJJ/FSU, syndicat majoritaire de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a répondu à la lettre envoyée trois jours plus tôt par Gérald Darmanin aux personnels. Il pointe un fossé entre discours et réalité, avec un manque de moyens, des équipes surchargées et des situations sociales lourdes, dénonçant des « réponses artificielles face aux problèmes concrets des terrains ».

Après « un non-renouvellement massif des contractuel·les » à l’été 2024, 2025 verrait la justice des mineurs instrumentalisée « sous un angle exclusivement répressif », dans le cadre d’une politique accusée de « flatter l’extrême droite ».

Les lois récentes sur l’immigration et la « restauration de l’autorité de la justice » à l’égard des mineurs ont été en grande partie censurées par le Conseil constitutionnel, grâce à une mobilisation syndicale, associative et professionnelle.

Malgré cela, le ministre persiste, appelant à « résister ». Pour le SNPES-PJJ, la feuille de route du 5 août confirme « les ambitions du garde des Sceaux en matière de justice des enfants », jugées éloignées de la mission éducative de la PJJ.

« Beaucoup de bruit et peu d’actes »

Dans sa réponse au ministère, le SNES-PJJ/FSU dénonce un texte qui illustre, selon lui, « la gestion de ce ministère : beaucoup de bruit et peu d’actes ». Pour le syndicat, la logique est inversée : « Plutôt que de se rendre du pénal au civil, il serait plus avisé de réaliser le parcours inverse ». Il rappelle que « la majorité des jeunes suivis par la PJJ ont connu un parcours chaotique avant toute sanction pénale » et interpelle le ministre : « Avant d’ambitionner des sanctions, ne faudrait-il pas déjà bien protéger, Monsieur le Ministre ? ».

Le syndicat insiste sur l’urgence de « sauver une aide sociale à l’enfance à l’agonie », soulignant que l’ASE doit être consolidée avant toute volonté punitive. Il critique la piste évoquée par le ministère de recourir à des « solutions non-professionnelles » telles que des tiers de confiance ou des adoptants : « Il s’agit de métiers nécessitant une formation pointue dans les domaines de l’enfance, de l’éducation, et du soin ». Selon lui, il faut « des moyens humains et financiers massifs pour l’ensemble des services publics de l’enfance et de la jeunesse, toute la jeunesse ».

En rappelant que « 3 350 placements prononcés n’ont pas été exécutés en 2024 », le syndicat juge cette situation « alarmante » et met en garde : « L’État ne peut s’en défausser en la privatisant ou en la sous-traitant ». Sans investissement massif dans les structures et les professionnels de l’ASE, « toute réforme ne sera qu’un écran de fumée ».

Inquiétudes face aux projets du ministère

Le SNPES-PJJ/FSU exprime ses inquiétudes face aux annonces d’ouverture de 18 nouvelles structures de la Protection judiciaire de la jeunesse, perçues comme des Centres éducatifs fermés (CEF) « sauf changement radical de cap ». Ces établissements présenteraient « des dysfonctionnements graves pour des coûts exorbitants » et « ne représentent en aucun cas une alternative à l’enfermement, mais bien une forme de privation de liberté ».

Le lien fait par le ministère entre ces structures et la santé mentale est jugé « problématique » et même « cynique » : le récent rapport thématique de l’Inspection générale de la justice sur les CEF témoigne déjà de leurs manquements dans ce domaine. Le syndicat rappelle qu’une expérimentation similaire, menée il y a une dizaine d’années, s’était « soldée par un vibrant échec ».

Dans la lettre du garde des Sceaux, la volonté de « poursuivre plus systématiquement les mineur·es » et de passer « plus rapidement de mesures éducatives à des contrôles judiciaires » est jugée « aux antipodes du primat de l’éducatif ». Les chiffres cités — « plus 900 écroués depuis 5 mois, 896 incarcérés depuis deux mois » — alimentent la crainte que « l’incarcération ne fasse qu’accentuer les réitérations et récidives » et provoque « des ruptures dans les accompagnements éducatifs ».

Manque de moyens et dérives technologiques

Le ministère prévoit la création de « 70 nouveaux postes » d’ici 2027, un chiffre qui « ne répond en rien aux besoins actuels de la PJJ » et « ne permettrait même pas de couvrir le quart des structures annoncées ». Les postes spécialisés créés récemment — insertion, placements, narcotrafic — « ne retirent aucune charge à l’activité des terrains ». Pour le syndicat, « des moyens en urgence sont nécessaires en contact direct avec les enfants et les adolescent·es que nous accompagnons ».

Une enquête de la DPJJ publiée le 28 avril 2025 indique que « plus de 60 % des psychologues et assistant·es de service social et 91 % des éducateur·rices et responsables d’unité estiment que leur charge de travail a beaucoup augmenté depuis l’entrée en vigueur du CJPM ». Plus de la moitié témoignent « de la détérioration du lien éducatif » et demandent une réduction des normes, actuellement fixées à « 1 professionnel·le pour 25 jeunes ».

Enfin, le SNPES-PJJ/FSU conteste la mise en place de l’intelligence artificielle à la PJJ, dénonçant un « technosolutionnisme » qui « n’apportera que des réponses artificielles aux besoins des personnels ». Les applications déjà déployées ont « coûté des millions d’euros pour s’avérer être des contraintes supplémentaires dans l’organisation du travail ».

En conclusion, le syndicat juge que le ministère se contente de « réactualiser une logique dépassée depuis longtemps » sans répondre « à aucune de nos revendications ». Modifier le cadre tout en maintenant « une politique judiciaire répressive » et « une organisation du travail taylorisée » ne fera qu’aggraver les problèmes sur le terrain. Il déplore « de grandes ambitions politiques, mais aucune mise en œuvre concrète », ainsi que « l’absence totale de reconnaissance de la responsabilité de l’État et de la Fonction publique dans la protection de l’enfance ».


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