Une nouvelle loi immigration a été annoncée par le président Macron. Un « grand débat » aura lieu en 2023 à l’Assemblée nationale et au Sénat pour discuter certaines mesures déjà annoncées par l’exécutif. L’enquête Trajectoires et Origines (Te02), réalisée par l’Ined et l’Insee, est riche d’enseignements sur les parcours des personnes immigrées et leurs descendants. Ses premiers résultats renseignent sur leurs niveaux d’éducation.

De façon générale, le niveau d’éducation augmente d’une génération à l’autre. Mais progresse-t-il autant dans les familles issues de l’immigration que dans les autres ? Nous examinons la question en analysant les différences de progression au sein des familles selon leur origine géographique et le sexe des enfants.

Les enfants réussissent-ils mieux que leurs parents et leurs ascendants ? Cette question classique des études de mobilité sociale se pose avec une acuité particulière pour les familles immigrées, dont le projet migratoire visait souvent à améliorer leur sort et celui de leurs descendants. Or, ce projet se heurte à de nombreux obstacles.

Dans quelle mesure les familles issues de l’immigration parviennent-elles à les surmonter au fil des générations ? La deuxième édition de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO2) permet, pour la première fois, de répondre à cette question en mesurant la progression du niveau d’éducation sur trois générations, ainsi que son rendement sur le marché du travail.

Forte élévation du niveau de diplôme dès la deuxième génération

Au-delà de l’âge de 30 ans, quand les études sont généralement terminées, la progression la plus notable du diplôme s’observe entre les parents immigrés (1re génération ou G1) et leurs enfants nés en France (2e génération ou G2). Dans ces familles, quand on compare le plus haut diplôme des deux parents à celui des enfants, on observe que la proportion de diplômés du supérieur passe de 1 sur 20 à près d’un tiers (figure 1).

C’est encore loin des 43 % de diplômés du supérieur que comptent les descendants de natifs (les G4+ dans notre notation, qui n’ont pas d’ascendants immigrés avant la 4e génération). S’en rapprochent cependant les personnes nées en France de couples mixtes (G2,5) avec 41 % de diplômés du supérieur, et les petits-enfants d’au moins un immigré (G3) avec 44 %. Il suffit donc que l’un des parents soit né en France pour que le niveau de diplôme rattrape celui du reste de la population.

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Si l’on considère maintenant la « mobilité éducative », en comparant les enfants à leurs propres parents (plutôt qu’en comparant les niveaux de diplôme de chaque groupe indépendamment des liens familiaux), ce sont les enfants d’immigrés qui accomplissent la distance la plus importante, en raison de la faiblesse du niveau scolaire initial : plus de 70 % obtiennent un diplôme plus élevé que celui de leurs parents. La marge de progression se réduit autour de 55 % quand l’un des parents n’a pas migré ou que la migration des ascendants est plus ancienne.

La génération des enfants a été scolarisée à une période et dans une société où les études supérieures sont plus fréquentes, ce qui explique pour partie ces différences entre générations. Mais la progression intergénérationnelle et la convergence avec les descendants de natifs varient sensiblement selon l’origine des familles.

Familles européennes et maghrébines : une convergence scolaire après deux générations ?

Un premier profil est celui des familles originaires du Maghreb et d’Europe du Sud (figure 2). Alors que les parents ont très rarement un diplôme du supérieur (moins de 3 %), plus d’un tiers des enfants en possèdent. D’où le pourcentage élevé d’enfants plus diplômés que les parents : respectivement 70 % et 80 %. Cette forte progression en une génération ne s’explique pas seulement par la faible diffusion de l’enseignement supérieur dans les pays d’origine, mais aussi par la forte mobilisation des parents immigrés en faveur de la réussite scolaire des enfants. Le niveau atteint reste cependant en dessous de celui des descendants de natifs (43 %), sauf pour les enfants de couples mixtes. À la troisième génération, les descendants de la migration européenne sont au même niveau que les descendants de natifs.

Des familles d’Afrique subsaharienne et d’Asie surdiplômées

Un deuxième profil est celui des familles originaires d’Afrique hors Maghreb et d’Asie. Les parents sont plus souvent diplômés du supérieur que les parents natifs : un tiers et un quart, respectivement, contre un cinquième (figure 2). Ces proportions s’élèvent à 40 % en cas de couples mixtes. Ce résultat témoigne d’une évolution des profils des immigrés en France : la diversification des origines s’est accompagnée d’une élévation des niveaux d’instruction, liée à une sélection plus intense des émigrants par rapport à ceux qui restent au pays d’origine.

Dans ces conditions, la marge de progression par rapport aux parents est plus réduite. Les enfants de ces familles sont, du reste, plus souvent diplômés du supérieur que les descendants de natifs (43 % contre 50 % parmi les enfants d’un ou deux immigrés d’Afrique, 54 % pour les enfants de deux immigrés d’Asie, et même 64 % pour les enfants de couples mixtes dont un parent vient d’Asie). Si le succès des descendants d’immigrés asiatiques est régulièrement commenté, ce n’est guère le cas pour les descendants d’immigrés africains, en butte aux représentations péjoratives des migrations africaines.

Familles de Turquie et du Moyen-Orient : un désavantage scolaire persistant

Troisième profil : les familles originaires de Turquie et du Moyen-Orient. Elles combinent un faible taux de diplômés du supérieur chez les parents (5 %) et un taux encore limité chez les enfants (moins de 18 %) (figure 2). Si ces derniers ont souvent progressé par rapport aux parents (deux fois sur trois), ils n’en constituent pas moins le groupe issu de l’immigration le moins diplômé. La trajectoire parcourue ne suffit pas, dans ce cas, à compenser un point de départ très défavorisé.

Avoir un diplôme supérieur à celui de ses parents : plus fréquent pour les filles que pour les garçons

La plus grande réussite scolaire des filles est un fait général bien connu en France. Elle se vérifie aussi chez les filles d’immigrés (figure 3), qui dépassent plus souvent que les fils le niveau de diplôme des parents. Ces différences de genre dans la mobilité éducative d’une génération à l’autre s’observent de la façon la plus saillante au sein des familles originaires de Turquie ou du Moyen-Orient : 76 % des filles ont un diplôme plus élevé que celui des parents, contre 55 % des garçons. Cet avantage des femmes est légèrement moins marqué au sein des familles issues d’Afrique subsaharienne (57 % des filles sont plus diplômées que leurs parents, contre 43 % des garçons) et du Maghreb (73 % contre 66 %).

Un moindre rendement du diplôme sur le marché du travail pour les descendants d’immigrés extraeuropéens

Au fil des générations, les descendants d’immigrés tendent donc à se rapprocher des niveaux de diplôme des descendants de natifs. Mais à quelles professions conduisent ces diplômes, et en particulier quelle est la part des diplômés du supérieur qui accèdent aux professions intermédiaires ou supérieures ? Elle s’élève à 77 % pour les descendants de natifs et à 75 % pour les petits-enfants d’immigrés européens.

En revanche, les diplômés du supérieur nés d’un ou deux parents d’origine extraeuropéenne sont nettement moins nombreux à accéder à des professions intermédiaires ou supérieures : 63 % pour les originaires du Maghreb, 67 % pour ceux d’Asie et 71 % pour ceux du reste de l’Afrique. Une part de l’explication de ces écarts selon l’origine tient aux discriminations à l’embauche régulièrement mesurées. Dans tous les groupes, le rendement professionnel d’un diplôme du supérieur est moindre pour les femmes, notamment du fait de leur retrait plus fréquent du marché du travail.

Les descendants d’immigrés obtiennent des diplômes sensiblement plus élevés que ceux de leurs parents. Malgré cette progression, la deuxième génération ne rejoint pas le niveau des descendants de natifs, notamment chez les enfants d’immigrés originaires d’Europe du Sud, du Maghreb et surtout de Turquie. Le rattrapage s’observe, en revanche, chez les enfants de couples mixtes et parmi la troisième génération issue de la migration européenne. Qu’en sera-t-il des petits-enfants d’immigrés d’origine extraeuropéenne ? L’enquête TeO2 comporte un échantillon complémentaire pour cette population qui permettra, dans des études à venir, de répondre à cette question importante. Il reste que la détention d’un diplôme du supérieur ne garantit pas un accès égal au marché du travail selon l’origine migratoire. La mobilité éducative favorise la mobilité sociale mais ne la garantit pas.

Patrick Simon, Institut National d'Études Démographiques (INED); Cris Beauchemin, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Mathieu Ichou, Institut National d'Études Démographiques (INED)

Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 602, « Familles immigrées : le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent ».

The Conversation