En 2019, le gouvernement lançait une stratégie de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, rendant enfin visible ceux qui au quotidien œuvrent aux côtés d’« un proche en perte d’autonomie pour des raisons liées à l’âge, à un handicap, à une maladie chronique ou invalidante ».

La question de l’aidance s’est invitée tardivement dans le débat politique. Pourtant, avec le vieillissement de la population et le développement de maladies chroniques, le nombre d’aidants va être mécaniquement amené à s’accroître dans les années qui viennent. D’après une enquête nationale Ipsos-Macif réalisée en 2020, près de 3 Français sur 10 âgés de 18 ans et plus, soit 11 millions de personnes, endossent le rôle d’aidant en assistant au quotidien une personne handicapée, ou âgée dépendante ou encore malade ne pouvant pas vivre seule ou parfois une personne présentant les trois situations en même temps.

Les aidants sont en moyenne âgés de 49 ans et sont pour 60 % des femmes. À l’occasion d’un colloque de recherche universitaire organisé en 2021 sur les figures du patient, du soignant et de l’aidant par l’Université Clermont Auvergne, en lien avec l’université de Lorraine, les communications et témoignages montraient combien il était urgent d’agir et combien les jeunes aidants restaient des acteurs de l’ombre, peu conscients de leur statut, soumis à de nombreuses tensions dans un contexte d’isolement accru et souvent éloignés des dispositifs en faveur des aidants.

Des invisibles à la vie complexe

L’engagement important des aidants impacte fortement leur vie quotidienne comme en attestent les études et recherches sur ce sujet. Elles mettent en évidence des incidences sur la santé de l’aidant, sur sa vie sociale et familiale (isolement, maltraitance à l’égard de la personne aidée, bouleversement au sein de la famille) et son niveau de vie (méconnaissance des dispositifs existants), sa vie professionnelle (gestion et aménagement du temps de travail, difficulté de conciliation avec le rôle d’aidant, accès à l’emploi…).

Si tous nous avons en tête parmi nos connaissances et proches des aidants, on sait moins que 500.000 aidants sont âgés de 18 à 24 ans et pour une part très importante d’entre eux cumulent le soutien à un proche avec leurs études. La plupart de ces jeunes ne se perçoivent pas nécessairement comme aidants et ont à gérer en plus de leurs études une charge logistique, mentale et financière qui a un impact sur les conditions dans lesquelles ils se forment et, donc, sur leur santé. La plupart se limitent dans leurs ambitions professionnelles.

Les très rares recherches menées sur cette population particulière d’aidants soulignent l’impact fortement négatif des responsabilités du « prendre soin » sur la santé physique et mentale des étudiants aidants, leurs performances universitaires et leur situation financière. Aux États-Unis la National Alliance for Caregiving estimait en 2020 à 21,6 heures par semaine en moyenne le temps consacré aux soins apportés aux proches.

Il y a une nécessite à documenter de manière rigoureuse cette situation de vie pour combler le manque d’informations démographiques et apporter des éléments de détails sur les activités de ces étudiants et l’impact (sûrement considérable) que cela a sur la gestion de leurs engagements académiques : moins de temps disponible pour étudier, des expériences d’anxiété et d’inquiétude, et le sentiment d’être surchargé de responsabilités, cela afin d’être en mesure d’apporter des réponses adaptées. Mais force est de constater, et assez étrangement, que le statut de l’étudiant aidant a jusqu’alors peu retenu l’attention.

Des actions trop timides

De très rares universités se sont emparées du sujet. En Italie, en 2021, l’université Federico II a mis en place un projet d’accueil des étudiants aidants familiaux. Ce statut reconnu et très encadré permet d’accéder à des aménagements et services mais cet exemple reste une exception dans le monde académique. Et pourtant, les universités ont su adapter leurs règles et apporter de la flexibilité à leurs modes de fonctionnement pour répondre aux besoins de certains publics étudiants tels que les étudiants entrepreneurs ou sportifs de haut niveau.

Alors que les étudiants entrepreneurs et sportifs bénéficient d’un statut particulier dans les universités françaises, il est temps de penser au statut d’étudiants-aidants. Celui-ci viendrait utilement supporter ceux qui au quotidien tentent de s’organiser, non sans mal, pour soutenir un proche.

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Ne cherchant pas à attirer la lumière sur eux, les étudiants aidants ne sont pas repérés aujourd’hui ce qui ne facilite pas la prise en compte de leur situation. Discret, « ma situation, je n’ai pas à en parler » alors qu’il peut admettre « avoir besoin d’aide pour l’organisation » avoue un étudiant aidant tout en reconnaissant « être fier de permettre à ses grands-parents de pouvoir rester à leur domicile malgré leur état de dépendance ».

Une recherche sur l’expérience des étudiants aidants en Écosse en 2020 est une des rares recherches produites sur cette population. Elle met en évidence les difficultés de ces étudiants conduit à revoir leurs ambitions professionnelles mais elle ébauche aussi des pistes utiles.

Une approche globale

En France, il existe divers statuts d’étudiants tels que le statut national d’étudiant entrepreneur ou celui d’étudiant sportif. L’étudiant entrepreneur fait l’objet d’un statut national lancé en 2014. Il permet de construire et développer son projet entrepreneurial dans le cadre de son cursus universitaire en plus de bénéficier d’un accompagnement. Il apporte une reconnaissance et un certain nombre d’avantages (accompagnement, possibilité de tester son activité avant la création d’une structure, formation à l’entrepreneuriat et à la gestion…). Depuis 2014, plus de 6 000 étudiants et jeunes diplômés âgés de moins de 28 ans ont pu bénéficier de ce dispositif.

Le statut d’étudiant sportif de haut niveau a lui été créé à 2015. Il permet aux étudiants sportifs de poursuivre leurs études tout en pratiquant leur sport. Il permet de bénéficier d’aménagements d’enseignements, d’examens, de dérogations pour l’allongement des années d’études pour valider leur diplôme et d’allongement de la durée des bourses d’études.

On peut être surpris que, dans ce contexte, il n’existe toujours pas de statut d’étudiant aidant. Pourtant, ce dernier pourrait apporter des réponses à un quotidien d’étudiant difficile :

  • sur le plan pédagogique : souplesse dans l’organisation des enseignements et des conditions d’accès ;
  • sur le plan social : mise en relation avec les services sociaux universitaires, structures associatives et institutionnelles en lien avec l’aidance ;
  • sur le plan psychologique : accompagnement par les services de santé universitaire centraux et de proximité, mise en contact avec les professionnels concernés, groupes de paroles ;
  • et sur le plan informationnel : droits, financements, informations pratiques, formation pratique sur l’aide à apporter à la personne qu’accompagne l’aidant.

Le statut d’étudiant aidant imposerait au système universitaire français de réfléchir à une approche globale du soutien apporté qui intègre, comme nous venons de le voir, de multiples dimensions. Les conditions d’accès seraient définies au regard de la réglementation en vigueur qui précise les liens entre la personne aidée et l’aidant. Elles pourraient être présentées aux étudiants à l’occasion de la rentrée universitaire par les services compétents.

Cette action leur permettrait de prendre conscience de leur situation d’aidant  et faciliterait probablement leur signalement auprès des services médico-sociaux. Il y a donc un véritable enjeu social à mettre à l’agenda cette question.

Corinne Rochette, Professeure des universités en management public et de la santé HDR, Titulaire de la chaire de recherche Santé et territoires, IAE- Université Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA); Christelle Larguier, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Clermont Auvergne (UCA) et Christine Roussat, Maître de Conférences hdr, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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