L'augmentation de la consommation de protoxyde d'azote s’est accompagnée d’une multiplication des cas directs et indirects de décès, en particulier chez les jeunes.

Tout le monde a déjà remarqué ces petites cartouches en inox qui jonchent depuis quelque temps certains lieux publics. Avant d’être vidées par leurs utilisateurs, elles contenaient un gaz, le protoxyde d’azote – « proto » pour les intimes – plus connu sous le nom de « gaz hilarant ».

Utilisé notamment dans l’industrie, l’agroalimentaire, la cuisine ou la médecine, le protoxyde d’azote a régulièrement droit, depuis quelques années, aux gros titres des journaux. Et pour cause : ses effets euphorisants à l’inhalation, rapides et fugaces, ont fait de ce gaz bon marché et facile à se procurer une drogue récréative hallucinogène très populaire.

Malheureusement, le succès grandissant de ces usages détournés du proto n’a rien de drôle : l’augmentation de la consommation s’est en effet accompagnée d’une multiplication des cas directs et indirects de décès, en particulier chez les jeunes. S’il ne faut pas diaboliser ou céder à l’alarmisme, il est néanmoins essentiel d’informer et de sensibiliser aux risques liés à l’inhalation de cette substance.

Un gaz largement utilisé

Le protoxyde d’azote (N2O) a été découvert en 1772 par le philosophe et chimiste anglais Joseph Priestley. En 1799, Humphrey Davis, un autre chimiste britannique, décrit les propriétés physiques et chimiques de ce gaz en l’expérimentant sur lui-même et sur des volontaires. Il met ainsi en avant les effets euphorisants et analgésiques de courte durée de cette substance.

Utilisé dès le XIXe siècle dans les cercles littéraires et scientifiques de la bourgeoisie anglaise, où il est synonyme d’inspiration et de création artistique, ou comme attraction dans les fêtes foraines en tant que gaz hilarant,  le protoxyde d’azote entre dans le domaine médical dès le milieu du XXᵉ siècle, principalement en anesthésie et en analgésie (suppression de la douleur).

En France, le mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote à visée médicale (connu sous le terme MEOPA) bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché depuis 2001. En outre, depuis 2009, le MEOPA est autorisé à être utilisé hors des établissements hospitaliers.

Le secteur médical n’est pas, loin de là, le seul à recourir au protoxyde d’azote, qui est utilisé également dans les industries électronique, pétrolière, aérospatiale et automobile (comme comburant pour moteur), ainsi qu’en agroalimentaire (comme gaz de conditionnement). Le N2O est aussi utilisé comme gaz propulseur dans les siphons et autres de bombes de crème chantilly.

Il est très aisé de se procurer du protoxyde d’azote, que l’on peut notamment acheter sous forme de bonbonnes dans les commerces de proximité ou sur Internet. Cette disponibilité facilite le détournement de ce produit et augmente le risque d’intoxication aigu. Ce qui pose un problème réglementaire, car cette substance a également des usages commerciaux autorisés.

Une consommation en augmentation

Si l’on se base sur la fréquence des passages aux urgences pour des problèmes liés au protoxyde d’azote recensés dans le rapport 2022 de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanie, sa consommation chez les jeunes semble être en hausse.

Cette augmentation avait déjà été signalée au cours des années précédentes par les hôpitaux du réseau Euro-DEN Plus à Amsterdam (15 en 2020, contre 1 en 2019) et à Anvers (44 en 2019 et 2020, contre 6 en 2017-2018). En 2020, les centres antipoison français avaient quant à eux déclaré 134 cas (contre 46 en 2019), tandis que les centres antipoison hollandais en déclaraient 144 (contre 128 en 2019).

En 2019, l’enquête Global Drug Survey, qui a fait le point sur la situation dans plus d’une trentaine d’États à travers le monde, a mis en évidence au moins un usage du protoxyde d’azote au cours de la vie chez 23,5 % des enquêtés, ce qui place ce gaz en 13e position des substances les plus consommées. L’usage dans l’année concernait quant à lui 11,9 % des participants (ce qui classe ce gaz en 10e position, hors tabac, alcool et caféine).

L’enquête Crime Survey for England and Wales 2018-2019 a de son côté révélé que le protoxyde d’azote était la deuxième substance la plus utilisée après le cannabis chez les 16-24 ans, avec une prévalence de 8,7 %.

Un élargissement des contextes de consommation

Depuis le début des années 2000, le protoxyde d’azote est consommé dans les soirées étudiantes, notamment en médecine et en pharmacie, du fait de la connaissance du produit par les participants. Une enquête quantitative réalisée en 2017 et 2018 auprès de 30 000 étudiants indique des niveaux d’usage de protoxyde d’azote relativement élevés : 6,2 % des étudiants et 3 % des étudiantes en avaient consommé en 2018

Depuis 2017, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a signalé des usages de protoxyde d’azote s’étendant au-delà des espaces festifs alternatifs. La présence de capsules métalliques dans l’espace public est devenue plus fréquente, souvent à proximité de lieux fréquentés par des publics plus jeunes, comme les lycéens.

Quels sont les effets de l’inhalation de protoxyde d’azote ?

Après avoir « cracké » la cartouche pour l’ouvrir, les utilisateurs inhalent le gaz par le biais d’un ballon. Les principaux effets recherchés lors cet usage détourné du protoxyde d’azote sont une euphorie, un fou rire, la sensation d’ébriété, une désinhibition, une exaltation, des hallucinations, voire une dissociation.

Le pic d’effet est en général atteint au bout d’une minute et les effets se dissipent deux à trois minutes après inhalation, d’où des usages souvent répétés.

Effets fugaces, qui se font ressentir rapidement, prix modique, accessibilité aisée : le protoxyde d’azote est une substance qui attire les jeunes, qui pour toutes ces raisons ont l’impression que ce gaz n’est pas dangereux.

Pourtant, dès 1970, des chercheurs rapportaient dans The New England Journal of Medicine ce qui pourrait avoir été les premiers décès liés au protoxyde d’azote. Depuis, plusieurs dizaines de cas graves ont été rapportés rien qu’au cours des deux dernières années. Des faits divers de décès qui se répètent fréquemment dans notre pays, car l’inhalation de protoxyde d’azote peut s’accompagner de complications.

L’intoxication aiguë peut avoir de graves conséquences

Il existe un certain nombre de complications possibles dans un contexte d’intoxication aiguë, et ce dès la première prise. Parmi les problèmes fréquemment rapportés citons : des vertiges, des maux de tête, des acouphènes, une diminution de la dextérité manuelle, des difficultés à parler, une confusion, une perte de conscience, une chute de sa hauteur, des brûlures par le froid (nez, lèvres, cordes vocales, arbre respiratoire), une asphyxie par manque d’oxygène.

Les utilisateurs peuvent aussi ressentir des troubles cardiaques (troubles du rythme, diminution de la fréquence cardiaque), des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales, une diarrhée, un œdème pulmonaire, des crises d’angoisse aiguës.

Consommer du proto sur une courte période ne semble pas être à l’origine de complications neurologiques majeures, à moins qu’il y ait un déficit préexistant en vitamine B12, ou que la consommation se fasse dans un environnement faiblement ventilé. Toutefois, ce risque augmente significativement pour des consommations répétées et à intervalles rapprochés et (ou) à fortes doses (50 à 100 cartouches inhalées en moins de 3 heures ou plus de 70 cartouches par semaine).

En cas de consommation chronique, la toxicité est non négligeable. Elle résulte principalement d’un manque d’oxygène au niveau du cerveau (hypoxie cérébrale) et d’une neurotoxicité par déficit en vitamine B12.

(Le protoxyde d’azote oxyde de façon irréversible cette vitamine, ce qui aboutit à des carences. Or cette molécule intervient dans plusieurs processus essentiels parmi lesquels la formation et la maturation des globules rouges, la synthèse d’ADN - et donc la division cellulaire -, ou la fonction nerveuse notamment, ndlr)

Une neurotoxicité qui peut laisser des séquelles

La neurotoxicité du protoxyde d’azote se traduit par des engourdissements, des picotements des extrémités des membres, et des troubles neurocognitifs potentiellement irréversibles, pouvant laisser des séquelles importantes : trouble de la communication tel que l’aphasie, ou troubles de la mémoire comme l’amnésie.

Des cas de faiblesse musculaire progressive des membres inférieurs et supérieurs, de perte de la sensibilité vibratoire et du sens des positions, de difficulté à la marche, d’incoordination des membres, de trouble de l’équilibre, ou de troubles sphinctériens touchant la vessie, l’intestin, ont aussi été décrits.

Des pathologies graves telles que des neuropathies (atteintes du système nerveux périphérique, autrement dit les nerfs situés en dehors du cerveau et de la moelle épinière, ndlr) existent également, tout comme des cas de myéloneuropathie (atteinte de la moelle épinière), ou de sclérose combinée subaiguë de la moelle épinière, affection qui constitue une véritable urgence neurologique.

Au niveau hématologique et cardiovasculaire, des atteintes telles qu’arythmie, syndrome coronarien, accident vasculaire cérébral ou embolie pulmonaire peuvent se produire. Les médecins ont aussi documenté des atteintes rénales (lithiase, infections urinaires), hépatiques, une hyperpigmentation de la peau localisée ou diffuse, des troubles de l’érection.

Enfin, sur le plan psychiatrique, des épisodes délirants avec hallucinations, des troubles de l’humeur, un risque suicidaire, de la paranoïa ont été constatés. Et précisons que l’addiction au protoxyde d’azote est bien évidemment possible…

Comment limiter les risques ?

S’abstenir de consommer du protoxyde d’azote est bien évidemment le conseil numéro 1. Mais en cas de consommation, l’observation de certains comportements permet de réduire les risques et les dommages potentiels. Avant tout, éviter de consommer seul, et ne pas consommer debout, car la perte d’équilibre peut faire chuter lourdement de sa hauteur et entraîner des blessures.

En ce qui concerne les inhalations, il faut toujours utiliser un ballon de baudruche. En effet, le proto est un gaz très froid, dont l’inhalation en sortie de cartouche, de siphon ou de détonateur peut provoquer des brûlures. Il est par ailleurs important de respirer de l’air entre les prises de gaz, afin d’éviter l’asphyxie, et de ne pas multiplier les prises, malgré l’effet fugace du produit. Dans le même ordre d’idée, il est déconseillé de consommer à intervalles rapprochés et (ou) à fortes doses.

Il ne faut pas mélanger le protoxyde d’azote avec d’autres produits (alcool, cannabis, ou autres drogues…), et il est bien entendu déconseillé de prendre sa voiture, son scooter, ou son vélo juste après une consommation.

Du point de vue pratique, il faut garder les cartouches éloignées de toute flamme. Et éviter de les jeter n’importe où (tout comme les ballons en caoutchouc ou en latex), car il s’agit d’une source de pollution.

Si des symptômes inhabituels surviennent après consommation, en cas d’urgence, prévenez les secours (15 ou 18). Et si l’une de vos connaissances ou vous-même connaissez des difficultés pour contrôler votre consommation, consultez votre médecin traitant ou une structure spécialisée dans la prise en charge des addictions : consultation jeunes consommateurs, CSAPA (Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), service hospitalier…

Pour conclure, rappelons que la loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote interdit notamment de vendre ou d’offrir du protoxyde d’azote aux mineurs, quel que soit le conditionnement, dans tous les commerces, les lieux publics et sur Internet. Il est également interdit de vendre et de distribuer tout produit spécifiquement destiné à faciliter l’extraction de protoxyde d’azote afin d'en obtenir des effets psychoactifs (tels que les « crackers »). Contrevenir à ces dispositions est passible de 3750 € d’amende. Le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs est quant à lui un délit, puni de 15 000 € d’amende.


Pour aller plus loin :
● Karila L. « On n’a qu’une vie », Fayard ;
Podcast Addiktion, saison 1 ;
● Le site de Drogues info service.

Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-Saclay et Amine Benyamina, Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et addictologie, président de la Fédération Française d'Addictologie, AP-HP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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