Daniel Rousseau, pédopsychiatre et co-porteur du programme Pegase, alerte sur les conditions de sa généralisation début 2026, qu’il estime appauvries par rapport au dispositif initial. Si la ministre de la Santé et des Familles réaffirme ses engagements pour la santé des enfants confiés à l’ASE, les acteurs attendent des réponses concrètes et des moyens à la hauteur.

Daniel Rousseau est pédopsychiatre. Il est co-porteur du programme Pegase depuis sa création en 2019, aux côtés de la Karine Chevreul, professeure de santé publique à l’Université Paris Cité et à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, dans le cadre d’un partenariat avec le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo). Fort de son expérience en pédopsychiatrie publique et de ses collaborations étroites avec les acteurs de la protection de l’enfance, de la santé et du médico-social, il défend une approche globale, coordonnée et continue de la santé des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance.


Les enfants protégés nécessitent une approche globale de la santé. Les enfants sous protection cumulent des vulnérabilités qui s’additionnent et se potentialisent. Les désamorcer est compliqué mais possible. La vulnérabilité liée aux abus et aux négligences. Avoir été maltraité et/ou négligé est un fait indélébile qui marque l’enfant à vie, avec des conséquences sur son avenir, fragilisation de la confiance envers les humains, séparation d’avec la famille, vie institutionnelle, effets péjoratifs sur le développement, la santé physique et psychique, la réussite scolaire et l’intégration sociale.

La vulnérabilité sanitaire

Les conséquences somatiques, psychologiques et sur le développement des maltraitances et des négligences nécessitent des soins protocolisés spécifiques et sur le long terme. Malgré des besoins importants, la discontinuité impacte aussi le parcours de santé de l’enfant.

La vulnérabilité sociale

Ces vulnérabilités individuelles et sanitaires ne sont pas compensées par leur environnement. Leur parcours familial, social et institutionnel est chaotique, entre discontinuité, éparpillement des réponses et multiplication exponentielle des professionnels impliqués. Cette désorganisation initiée du côté des parents, qui n’ont pas protégé la santé de leur enfant, se poursuit du côté des institutions par la non-organisation de son suivi en santé, sa traçabilité. Cette désorganisation générale fait que ce sont les enfants qui ont le plus de besoin de soins qui en reçoivent le moins.

Pegase a démontré que protéger les enfants confiés à l'ASE et les soigner est efficace à la condition de répondre à la désorganisation par de la coordination solide.

Pegase, un modèle efficace

Depuis six ans, le programme Pegase (plus de 1000 très jeunes enfants sous protection) a mis en place, grâce au support financier et technique de l’Assurance maladie un suivi spécifique pour tenter de déjouer ces vulnérabilités, avec des résultats reconnus.

Pegase a démontré que protéger les enfants confiés à l'ASE et les soigner est efficace à la condition de répondre à la désorganisation par de la coordination solide. À la gravité des retards et des déficiences par de la formation, des outils et des protocoles. À l’éparpillement par un dossier informatisé centralisé et une démarche qualité. Tout ceci nécessite une gouvernance attentive. Cultiver cette intelligence collective, c’était le principe de Pegase. Une prise en charge holistique pour répondre au cumul de toutes ces vulnérabilités.

Une généralisation en rupture

Mais la conception par l’État de la généralisation de Pegase est atterrante. Exit la vision globale, l’intelligence collective, les innovations et les outils éprouvés à l’efficacité reconnue. Le tout se voit réduit à un copié-collé d’un dispositif déjà existant, centré sur les retards de développement et des apprentissages, celui des PCO (plateformes de coordination et d’orientation, ndlr), déjà bien à la peine, tout en diminuant de 60 % les moyens de son application pour les enfants protégés par rapport aux autres enfants. Déjà, une injustice flagrante.

Mais quel manque d’ambition ! Quelle tristesse pour l’intelligence des choses concernant la santé de ces enfants ! Pourtant, les solutions étaient là, efficaces, éprouvées, reconnues et attendues par les acteurs.


Lire aussi

Inquiétudes sur la généralisation de Pegase : la ministre de la Santé et des Familles assure avoir « repris le dossier »
La généralisation du programme Pegase suscite des interrogations à l’approche de son entrée dans le droit commun. La ministre de la Santé et des Familles Stéphanie Rist a voulu répondre aux inquiétudes, affirmant que « tous les enfants protégés bénéficieront des soins nécessaires ».
Pegase : la santé des tout-petits confiés à l’ASE, clé d’une protection renforcée
Pégase bouscule les pratiques en matière de santé des jeunes enfants confiés à l’ASE. Bilans précoces, accompagnement structuré et coordination renforcée : un dispositif clé pour un suivi durable et une protection renforcée. Son déploiement national est prévu en février 2026.