Dans une lettre adressée à la protection judiciaire de la jeunesse, le ministre de la Justice salue l’engagement des agents confrontés à des situations complexes. Pour Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, ces éloges masquent un cruel déficit de moyens et une justice des mineurs figée, incapable de répondre aux urgences du terrain.

Au cœur de l’été, le garde des Sceaux a adressé une lettre de soutien aux agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), saluant leur engagement auprès des mineurs en conflit avec la loi. Ce geste, qui souligne le rôle crucial de ces personnels, masque cependant des contradictions profondes : promesses budgétaires en voie d’effacement, créations de postes dérisoires, et une vision de la justice des mineurs figée dans un passé dépassé. Pour Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, cette lettre relève d’une « câlinothérapie » insuffisante face aux urgences réelles du terrain. Dans un post publié sur LinkedIn, il dénonce l’absence de réponses concrètes aux défis majeurs auxquels la PJJ est confrontée, pointant l’écart grandissant entre discours officiel et réalité vécue.

Le garde des Sceaux a reconnu dans une lettre « le rôle central de tous ces agents auprès des jeunes en conflit avec la loi », salue Jean-Pierre Rosenczveig, qui insiste aussi sur le fait que ce travail profite à une société souvent aveugle à cet engagement. La défense des agents de la PJJ face aux agressions est saluée par le ministre ? « On n’attendait pas moins », tranche le magistrat honoraire.

70 postes - soit à peine « un demi-poste par tribunal »

Mais côté moyens, la réalité est beaucoup moins glorieuse : face à la surcharge induite par le Code de justice pénale des mineurs (CJPM), Gérald Darmanin annonce la création de 70 postes — soit à peine « un demi-poste par tribunal ». « À supposer que ce soient des travailleurs sociaux, cela veut dire 12 mesures prises par tribunal d’instance », calcule le magistrat honoraire.

Pire encore, la promesse de 2021 d’Éric Dupond-Moretti d’augmenter le budget de la PJJ de 8 % par an pendant quatre ans, soit +35 % au total, semble aujourd’hui enterrée. « Qu’en est-il aujourd’hui ? », interroge-t-il. Concernant les places en centres éducatifs fermés, la création de 131 places d'ici à 2027 est jugée récurrente et peu convaincante, puisque « ce type d’engagement est régulièrement pris depuis 2004 ».

« Donner du temps aux éducateurs »

Sur le fond, l'ex juge des enfants dénonce une vision trop limitée de la délinquance juvénile : « Le garde des Sceaux n’a toujours pas compris que la délinquance juvénile s’entend d’une séquence de vie à laquelle il faut s’attacher sur la durée ». Il insiste sur la nécessité de « donner du temps aux éducateurs » face à la « réitération permanente », plutôt que de réduire la réponse à la seule récidive. Il critique aussi la tendance à « convertir une mesure éducative en contrôle judiciaire », alors que « la vraie réponse est que la mesure éducative soit réellement mise en œuvre par une équipe cohérente ».

La lettre du ministre fait l’éloge de la PJJ comme « coordinatrice de la protection de l’enfance », mais Jean-Pierre Rosenczveig nuance sévèrement : « Depuis 2011, la PJJ n’assume plus que de façon exceptionnelle des mesures éducatives » et doute qu’elle soit « véritablement perçue sur le terrain comme une coordinatrice par ses partenaires ».

« Un discours misérabiliste »

Parmi les annonces du ministre figure la création d’un nouveau statut pour les enfants victimes. Sur ce point, l'ancien magistrat rappelle que « d’ores et déjà, le parquet peut prendre des mesures de protection en urgence à tout moment » et critique que « privilégier l’adoption revient à nier la capacité de l’action sociale à répondre aux difficultés familiales ». Il souligne aussi que « le ministre présente la justice comme traumatique alors que dans de nombreux pays voisins, on nous l’envie pour sa souplesse et son adaptabilité ».

En conclusion, Jean-Pierre Rosenczveig juge cette lettre « sympathique » mais qui « sera loin de répondre à un malaise évident » de la PJJ. Son discours, « finalement très XIXe siècle, misérabilisme », reste largement insuffisant face aux défis d'aujourd'hui.


Jean-Pierre Rosenczveig est magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita, co-président de la commission enfances-familles-jeunesses de l’Uniopss, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président de la commission Ultramarins - Expert UNICEF. Retrouvez toutes les analyses de Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog.

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