Dans une lettre ouverte publiée par Enfance & Jeunesse Infos, Claude Roméo, directeur départemental honoraire Enfance-Famille en Seine-Saint-Denis, appelle la nouvelle ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, à s'engager dans les différents chantiers urgents de la protection de l'enfance.

Madame la Ministre,

Permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes félicitations pour votre nomination en qualité de ministre déléguée à l’Enfance, la Jeunesse et les Familles. J’y vois la marque d’une certaine cohérence, ce qui n’était pas le cas depuis 2017. Je regrette toutefois que l’importance de votre secteur n’ait pas justifié de vous nommer ministre de plein exercice, assistant au Conseil des ministres, plutôt que sous tutelle de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités. Je veux espérer que votre nomination coïncide avec les déclarations du président de la République sur un domaine qu’il estime prioritaire et dont les actions tardent pourtant à poindre.

J’ai souhaité vous adresser cette lettre ouverte afin d’attirer votre attention sur la situation inquiétante que traversent en particulier les enfants dans notre pays. Ceux d’ici et ceux venus d’ailleurs, ces 3 millions d’enfants touchés par la pauvreté dont 3000 sont encore sans abri.

Il en est de même pour le domaine de l’Éducation nationale dont le Premier ministre indiquait qu’elle était « la mère des batailles ».

La santé fait partie de mes préoccupations, que ce soit la situation de la pédiatrie, dont nous attendons depuis un an la tenue les Assises et la santé de l’enfant avec une recrudescence des suicides en augmentation de 15%, la pédopsychiatrie avec des délais d’attente pour une consultation pouvant atteindre 12 mois !!! La santé scolaire, elle, est dans l’incapacité de mener ses missions avec 800 médecins pour 60 000 établissements.

À cela, nous pouvons ajouter les modes d’accueils de la petite enfance pour lesquels 75% des parents estiment difficile d’obtenir un accueil près de chez eux comme le montre le rapport d’Isabelle Santiago et Michèle Peyron, toutes deux députées et vice-présidentes de la délégation parlementaire aux droits des enfants.

Je veux attirer votre attention particulièrement sur la situation, à bout de souffle, de la protection de l’enfance avec des éducateurs épuisés, sans aide réelle de l’État, laissant les Départements seuls face aux difficultés sous prétexte des lois de décentralisation, ce qui est un non-sens. La protection de l’enfance est une compétence partagée entre l’État et les Départements.

Dans ce domaine des alertes récentes ont été lancées, que ce soit par les 24 présidents des conseils départementaux des Départements de France, du Conseil national de la protection de l’enfance qui a réclamé dans la diversité de sa composition, un véritable plan Marshall rejoint par l’UNIOPSS, la CNAPE, l’ANDASS, l’Association des magistrats de la jeunesse et de la famille et le GEPSo. Lors d’une conférence de presse, ils ont montré une unanimité sur le diagnostic et les préconisations. S’y ajoute le Livre blanc du travail social avec ses 14 préconisations remises aux cinq ministres présents, et qui reste sans nouvelles depuis plusieurs mois.

A ce jour, aucune suite réelle n’a été donnée à ces différents interlocuteurs qui ne peuvent se satisfaire de l’annonce de commissions dont on ne voit pas l’objectif poursuivi, sinon qu’une série de communications sans la volonté d’aboutir à des solutions réelles.

Je pense aux 30 000 postes vacants de travailleurs sociaux auxquels s’ajoute une crise de l’attractivité des métiers du social. Cette situation nécessiterait un plan exceptionnel de recrutements et de formations au niveau de l’État aux côtés des Départements et des Régions.

« La prévention doit être le pivot de toute politique publique de l’enfance tout comme pour la jeunesse »

Cette volonté doit s’accompagner selon moi d’une réforme de la formation initiale aujourd’hui inadaptée à la complexité des situations rencontrées et par une formation rémunérée sous forme de bourses contre une obligation de servir de 3 ou 4 ans après l’obtention du diplôme comme viennent de le mettre en place le Département du Nord et de la Seine-Saint-Denis. Dans ce domaine, une attention particulière doit être portée au secteur associatif habilité, pour mettre fin aux discriminations statutaires et financières. Je rappelle que ces associations assurent 80% des mesures éducatives. Il est pour le moins choquant que compte tenu des postes vacants elles fassent appel aux intérims pour un coût qui approche les 7000 euros mensuels alors que le salaire d’un travailleur social débute à 1500 euros. À cela devrait s’ajouter la définition de normes d’encadrement.

Autre domaine qui m’inquiète, celui de l’absence d’une politique de prévention dans la protection de l’enfance. Ayant été corédacteur de la loi du 5 mars 2007 au côté de Philippe Bas, nous avons placé la prévention au cœur du dispositif de protection de l’enfance. Avouons-le, 17 ans plus tard nous sommes en échec avec 75% des mesures éducatives judiciarisées. La prévention doit être le pivot de toute politique publique de l’enfance tout comme pour la jeunesse. Il vous faudra être attentive aux propositions de la Commission Parentalité mise en place par la ministre des Solidarités précédente pour l’aide aux parents fragilisés.

De même, j’attire votre attention sur l’accueil hôtelier interdit depuis ce mois-ci, mais inapplicable. Pourtant cette décision justifiée a été prise en 2022 sans se préoccuper des conditions de mise en œuvre qui auraient nécessité préalablement la création de structures d'accueil en remplacement des 8000 à 10 000 places dans les hôtels sans présence éducative. Le suicide d’une adolescente de 15 ans ces dernières semaines montre l’incohérence des accueils hôteliers.

La situation de la pédopsychiatrie doit nous préoccuper, j’attends la suite de la déclaration du Premier ministre dans son discours de politique générale de donner les moyens nécessaires à la psychiatrie. Il faut rappeler que 32% des enfants accueillis à la protection de l’enfance souffrent de troubles psychiques graves faute de places en pédopsychiatrie. Cela aboutit dans certaines situations à des difficultés dans les établissements d'accueil.

Enfin, la situation des mineurs non accompagnés ne respecte pas la Convention internationale des droits de l’enfant, comme l’a confirmé le Comité des droits de l’enfant de l’ONU à la France en mai 2023, situation encore aggravée par la récente loi sur l’immigration. L’État ne peut se désintéresser des conditions d’accueil et de participation à leur prise en charge en complément des Départements.

Comme vous le voyez Madame la Ministre, la situation des enfants nécessite un effort immédiat et sans précédent, non pas parce qu’ils sont l’avenir de la société, mais parce qu’ils sont là aujourd’hui !

Restant à votre disposition

Bien respectueusement,

Claude Roméo

©DR

Directeur départemental honoraire Enfance-Famille de la Seine-Saint-Denis
Ancien conseiller technique auprès des ministres de l’enfance
Ancien président de l’ANDASS (Association nationale des directeurs de l'action sociale et de la santé)