Protéger un enfant victime de violences sexuelles ou d’inceste peut impliquer des choix judiciaires très difficiles. Le documentaire « Mères en lutte » retrace le parcours de mères confrontées à ces situations. Le film montre un système judiciaire souvent dépassé, voire défavorable aux mères protectrices.

Avec Pauline Rongier, avocate spécialisée, et Édouard Durand, juge des enfants et ancien coprésident de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), le documentaire suit ces femmes confrontées à un dilemme extrême. Remettre leur enfant à l’agresseur ou enfreindre la loi pour le protéger.

Des mères face à l’injustice

À travers les histoires de Virginie, Cynthia et Pauline, le film montre comment ces mères bravent les interdits et résistent aux délais insoutenables ainsi qu’à l’indifférence de la justice. Obligées de braver les interdits judiciaires, malmenées, maltraitées, « traitées en folles ou en hystériques », ces mères en lutte essaient de tenir face aux délais impensables et au silence de la justice. « C’est à travers leur regard, leur force et leur vitalité malgré les souffrances que nous voulons faire reconnaître l’impact d’une violence invisible. »

Pour Johanna Bedeau, réalisatrice, ce projet est une urgence : « La question des violences, qu’elles soient intra-familiales, conjugales, sociétales ou institutionnelles, est au cœur de mon travail. C’est ce qui m’a poussée à faire ce film. »

Au fil de ses enquêtes, elle a constaté que la parole des mères reste trop souvent ignorée : « Beaucoup portent plainte pour faire entendre celle de leur enfant, et se retrouvent du jour au lendemain dépossédées de leurs droits parentaux et de leur liberté. » Le film illustre les paradoxes du système judiciaire. Les mères peuvent être perçues comme complices malgré elles des violences subies par leurs enfants. « Ces mères peuvent devenir, malgré elles, complices des crimes de leurs enfants si elles veulent garder la garde. »

La CIIVISE et les mères en lutte

En 2021, la CIIVISE a publié un avis sur « Mères en lutte », après des centaines de témoignages de mères dont les enfants avaient révélé des violences sexuelles incestueuses. Beaucoup étaient accusées de manipulation et risquaient de perdre leurs droits parentaux, malgré leur rôle protecteur.

L’avis recommande de suspendre immédiatement les droits de visite et l’autorité parentale du parent mis en cause et de retirer systématiquement cette autorité en cas de condamnation. Il insiste sur l’importance de croire les enfants et de soutenir les mères, tout en dénonçant l’usage du concept d’« aliénation parentale », qui minimise les violences et discrédite les mères protectrices.

Appel des expertes de l’ONU

Le 19 janvier 2024, plusieurs expertes indépendantes mandatées par l’ONU ont appelé la France à « agir de toute urgence » pour protéger les enfants contre l’inceste et les abus sexuels. Elles dénoncent les « traitements discriminatoires » subis par les mères qui dénoncent ces violences.

Selon ces expertes – deux rapporteuses spéciales et cinq membres du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles – la France ne protège pas suffisamment les enfants. Les principes de précaution et l’intérêt supérieur de l’enfant ne sont pas toujours respectés. Malgré des allégations crédibles d’abus incestueux, les mères restent exposées et leurs enfants vulnérables. Ces expertes sont mandatées par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, mais leurs propos n’engagent pas l’organisation elle-même.

Mobilisation à Paris

Des « mères désenfantées » se sont rassemblées place de la République à Paris pour dénoncer l’inaction de l’État face aux violences sexuelles et à l’inceste, le 9 septembre dernier. La manifestation a mis en lumière leur colère face à un système judiciaire qu’elles jugent défaillant, ainsi que la nécessité d’adopter des mesures immédiates pour protéger les enfants et soutenir les parents protecteurs.


« Mères en lutte » sur « Infrarouge » présenté par Marie Portolano - Diffusion le mercredi 8 octobre à 22 h 55 sur France 2 et en replay