Quasiment deux mois après la publication du rapport parlementaire sur les manquements de la protection de l’enfance, l’État reste toujours aussi taisant. Ne nous revient-il pas de faire pression sur lui pour qu’il manifeste qu’il a entendu l’interpellation politique ? Et enclenche un processus vertueux pour répondre à la crise que nous traversons et qui ne peut que s’accentuer.
Le Parlement a fait en grande partie le job. Dans son rapport rendu public le 8 avril dernier, la commission parlementaire sur les manquements de la protection de l’enfance cautionne, relaie, prolonge le constat fait depuis 3 ou 4 ans des difficultés majeures – euphémisme – que rencontre ce dispositif administratif, social, médical et judiciaire sollicité à l’extrême pour accompagner parents et enfants, et notamment pour accueillir de très jeunes enfants.
Non seulement la commission présidée par Laure Miller (Renaissance) sur le rapport d’Isabelle Santiago (PS) avance nombre de recommandations qui s’imposent aux yeux, mais elle porte un constat sévère, quitte à estomper singulièrement ses réussites, sur l’acuité de la crise que traverse ce dispositif. Tous les voyants lumineux sont au rouge. Elle appelle à y répondre par une mobilisation générale de l’État, des collectivités territoriales et du secteur associatif habilité.
Elle identifie l’État comme ayant certes failli, et de longue date, mais comme devant être le chef d’orchestre prêt à remobiliser les uns et les autres et les embarquer dans un projet collectif commun majeur.
« Tous les éléments sont réunis pour une aggravation rapide et
exponentielle de la crise traversée »
À juste titre, pas question de revenir sur la répartition des compétences issues des lois de décentralisation de 1983/1984. L’État est invité à tenir enfin et pleinement sa place pour permettre l’accès de tous les enfants d’ici ou d’ailleurs au droit à protection, dans leur famille, à défaut en dehors, dans le respect des politiques territoriales. L’équité par-delà l’inégalité des politiques ! Pour cela, il lui revient de s’attacher moins à les modifier les règles du jeu qu’à veiller à leur application en dégageant les moyens financiers et humains nécessaires, à promouvoir et à soutenir les évolutions, mais déjà à (re)donner le sentiment aux professionnels et de leurs institutions d’être utiles quand aujourd’hui, ils en doutent tant.
Cette démarche qui et doit s’inscrire sur 5 à 10 ans, avec les moyens financiers ad hoc, associer les « bénéficiaires », enfants et parents, avec le souci de prévenir la cristallisation de nouvelles situations appelant à des réponses lourdes impossibles à mettre en œuvre correctement. D’ores et déjà et à court terme, des mesures dans le dispositif lui-même s’imposent pour éviter de nouveaux drames, pour endiguer des dérives majeures comme la violence dans certaines institutions, le trafic de drogue ou la prostitution. Le nécessaire doit être fait pour ne plus maltraiter ou délaisser certains enfants comme il est reproché à leurs parents.
Par-delà ses limites, ses excès, ses failles, ce travail présente deux qualités majeures qui lui donnent une force incontestable et originale. La première est de tenir le rôle que notre cadre politique lui offre : interpeller les pouvoirs publics. Et il le tient : et son discours est fort. Seul le Parlement avait cette légitimité politique. Sa deuxième qualité tient à ce que par-delà telle ou telle divergence sur l’analyse et les préconisations, il a suscité une réaction pluripartisane. Le rapport sur un sujet aussi délicat a été adopté à l’unanimité.
Ce rapport appelle donc à traiter politiquement un problème infiniment politique et d’intérêt général. À nous, citoyens, d’y inciter. Il y a urgence, car tous les éléments sont réunis pour une aggravation rapide et exponentielle de la crise traversée si on veut bien observer que tous les dispositifs de prévention sont en grande difficulté. Qui plus est, force est de constater que les interpellations, notamment des enfants et des jeunes suivis ou par des parents convaincus trop souvent d’avoir été privés abusivement de leur enfant sont déjà violentes. Demain, elles le seront encore plus sur un sujet — l’enfance — où le rationnel et la passion l’emportent rapidement. Outre les actes de violences ou d’insultes, on voit déjà des plaintes pénales engagées contre les acteurs et aujourd’hui des prises des présidents de Conseil départemental. La Commission elle-même appelle à ces recours, voire proposition à hauteur du constat, dénonçant un dysfonctionnement systémique et de longue date de l’État, elle l’invite à mettre en place un dispositif national de réparation.
Dans ce contexte d’interpellation frontale et majeure sur une fonction qualifiée désormais de régalienne, l’État doit répondre. Ne pas le faire serait une faute (politique), mais aussi une erreur (politique) !
Quasiment deux mois après la publication de ce rapport, alors qu’il a su répondre dans les 24 heures à la diffusion d’une note sur les dangers que représente la démarche des Frères musulmans, on est inquiet du silence du président de la République et de son Premier ministre. La présentation, la veille de la publication de ce rapport — du jamais vu ! —, par la ministre en charge de ce dossier, de ses propres perspectives, a pu apparaitre comme un pied de nez à la représentation nationale. Quelles suites ont été tirées depuis ?
« L’État a-t-il entendu le message relayé par la commission parlementaire ? »
La convocation d’un conseil interministériel sur l’enfance s’impose d’urgence pour que chacune des administrations d’État exprime ses réactions au regard des interpellations de ce document, énonce ce qu’il en retient et ce qu’il compte en faire dans son champ. Il revient ensuite à l’État de provoquer un temps de travail conséquent avec les collectivités territoriales, mais également avec le secteur associatif habilité sans lequel la puissance publique d’État et territoriale serait nue, en y associant des mouvements porteurs d’une approche civile comme ATD Quart Monde ou l’UNAF. N’est-ce pas là le rôle du Haut-Commissaire à l’Enfance récemment nommé avec le souci de s’inscrire sur la durée ?
Déjà quelles initiatives transpartisanes prendront les parlementaires à la suite de
leurs propres travaux pour ce qui relève de leurs compétences ? Quels engagements entendent souscrire les candidats ou futurs candidats à l’élection présidentielle sur un chantier d’une telle ampleur pour que l’enfance ne soit plus un affichage de campagne, mais identifiée comme un objet majeur de politiques publiques. Avec des objectifs précis ? Déjà quels engagements sinon quelles mesures pour assurer la gouvernance nationale et territoriale qui s’impose et son financement ? Ceux qui nous gouvernent ou aspirent à le faire sont-ils capables — et déjà en ont-ils la volonté ? — d'incarner concrètement l’approche pluripartisane qui le temps d’une commission les a réunis ?
En d’autres termes, le plus facile a été fait : se saisir du problème, en cerner peu ou
prou les termes, dénoncer dysfonctionnements et aberrations, identifier des objectifs, mettre en exergue des réponses potentielles. Le plus dur reste à faire. D’abord ne pas se contenter de ce résultat et de l’engouement qu’il peut susciter. D’ores et déjà là, si on est en responsabilité politique, associative ou professionnelle, appliquer la loi et à moyens égaux, s’évertuer de répondre aux lacunes et dysfonctionnements mis en évidence et, dans la mesure où on le peut, promouvoir les évolutions qui s’imposent.
Reste l’essentiel : le chef d’orchestre doit reprendre sa baguette et animer la partition en… assumant ce qui relève de sa charge propre (santé scolaire, service social scolaire, psychiatrie infantile, etc.). Ne fut-ce que pour regagner une légitimité perdue. Urgence des urgences, il doit engager ce chantier majeur qu’est de maintenir en place les femmes et les hommes qui accompagnent parents et enfants, mais d’en entrainer de nouveaux à s’engager pour combler les 30 000 postes vacants.
Ces politiques risquent gros à ne pas s’engager dans cette voie. La France y joue
son image sur le plan international à travers le jugement que ne manquera pas de
porter sous peu le Comité des experts de l’ONU. En revanche, ils ont tout à gagner en se mobilisant. Nul n’ignorant la difficulté de la tâche, on leur saura gré de s'atteler. L’État, à tous ces niveaux, a-t-il entendu le message relayé par la commission parlementaire ?
Aujourd’hui, on en doute. En espérant être démenti. En toute hypothèse, comme citoyens, il nous revient de faire pression sur nos politiques.