Les élèves désignés comme « à besoins éducatifs particuliers » sont des enfants qui « ont, de manière significative, plus de mal à apprendre que la majorité des enfants du même âge quand ils sont dans une situation particulière ou qu’ils souffrent d’un handicap qui les empêche ou les gêne dans leurs apprentissages ». Leur scolarisation est une préoccupation majeure pour l’ensemble des systèmes éducatifs, comme le rappelle le quatrième objectif de l’Agenda 2030 défini par l’ONU.

Pour faire face à l’hétérogénéité des élèves, les pays ont adopté différents modèles impliquant que la définition de l’éducation inclusive et la mise en œuvre de celle-ci y varient fortement. En France, l’éducation inclusive telle qu’elle est préconisée actuellement est le fruit d’un long processus impulsé à la fois par un cadre réglementaire et législatif propre à la France mais aussi par des engagements internationaux (par exemple, la déclaration de Salamanque en 1994). La notion en tant que telle a été utilisée en France, pour la première fois, dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République.

La conception de l’inclusion et ses implications pour l’institution scolaire ont ainsi évolué à travers le temps. Aujourd’hui, même si les enseignants y semblent majoritairement favorables, ils ressentent toujours des difficultés pour la mettre en œuvre. Ces difficultés peuvent en partie être liées au fait qu’en raison des nombreuses évolutions, le concept d’éducation inclusive manque de consensus et reste, encore aujourd’hui, mal compris par les acteurs de l’éducation.

De l’intégration à une pédagogie universelle

Le principe d’intégration des élèves à besoins éducatifs particuliers est apparu dans la loi d’orientation du 30 juin 1975. Ce principe renvoyait à l’idée que ces derniers peuvent apprendre dans le cursus ordinaire et leur demandait alors des efforts pour s’adapter à l’école et à son fonctionnement (même si des aides pouvaient ponctuellement leur être apportées). Les élèves pour lesquels l’écart à la norme n’était pas trop important étaient susceptibles d’être intégrés en classe ordinaire ; les autres étant alors orientés dans des classes ou établissements séparés.

Progressivement, au fil des ans, l’intégration a fait place à l’inclusion. Ces élèves ont ainsi bénéficié d’un niveau de participation de plus en plus élaboré, s’éloignant de l’intégration physique de 1975, sa forme minimale, pour atteindre une intégration administrative à partir de 2005, sa forme la plus avancée. Ces différentes évolutions se retrouvent également dans travaux de recherche à travers le monde. Ainsi, Kerstin Göransson et Claes Nilholm, en 2014, dans une revue de ces travaux universitaires, ont montré que l’inclusion peut y être définie comme :

  • (A) un simple accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers sans référence aux apprentissages (définition dite de placement) ;
  • (B) un accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers couplé à des adaptations pédagogiques (définition dite d’une individualisation spécifiée) ;
  • (C) l’adaptation à tous les élèves indépendamment de leurs besoins éducatifs particuliers (définition dite individualisée générale) ;
  • (D) la création d’une communauté qui prend en compte les principes d’équité et de justice au-delà du périmètre de l’école (définition dite de communauté).

Cette dernière forme tente de se construire en France depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Avec cette loi, il ne s’agit plus d’intégrer ou de ré-intégrer les élèves à besoins éducatifs particuliers puisque ceux-ci ne sont pas exclus du système scolaire. Dans cette perspective, ils sont scolarisés en classe ordinaire et les enseignants sont encouragés à adapter leurs méthodes et leurs supports à leurs besoins.

Au fil des ans, [l’intégration a fait place à l’inclusion. Shutterstock

L’inclusion scolaire procède donc d’une double adaptation. D’une part, il est toujours attendu de l’élève, quel qu’il soit, qu’il intègre la norme scolaire, des connaissances identifiées dans le référentiel de compétences. D’autre part, l’école doit, en fonction des besoins des élèves, adapter les démarches, les méthodes et/ou les supports pédagogiques pour permettre les apprentissages.

Les préconisations actuelles en matière d’éducation inclusive vont au-delà de ce concept d’inclusion notamment avec l’idée que les enseignements doivent être, dès la conception, accessibles à toutes et tous. Ainsi, les enseignants ne sont plus encouragés à construire un enseignement adapté à chaque élève présentant des besoins éducatifs particuliers (et donc à individualiser en quelque sorte les supports) mais plutôt à concevoir, en amont, des séances, des supports ou encore des méthodes répondants aux besoins de toutes et tous.

Dans cette perspective, les élèves à besoins éducatifs particuliers ne doivent plus faire l’objet d’une attention exclusive et/ou particulière ; l’enseignant doit davantage être attentif aux barrières à l’apprentissage de toutes et tous. En conséquence, la proposition aux élèves de différentes modalités pédagogiques est préconisée pour répondre à la diversité des élèves. Cette approche, inspirée de l’architecture, est nommée conception universelle de l’enseignement.

Comme nous venons de la voir, le concept d’éducation inclusive a fortement évolué depuis les cinquante dernières années. Mais comment les enseignants se sont-ils emparés de ces différentes évolutions ? Cette question est d’importance dans la mesure où leur appréhension du concept a un effet sur leur acceptation de l’éducation inclusive et leurs pratiques professionnelles.

Sur le terrain, une variété d’approches

Une étude menée par Mireille Krischler et ses collègues, en 2019, basée sur les définitions de Kerstin Göransson et Claes Nilholm, montre que les enseignants luxembourgeois n’ont pas de définition consensuelle de l’éducation inclusive et qu’ils n’adhèrent pas à la définition la plus élaborée de l’éducation inclusive : la définition de communauté. Dans un même pays, les conceptions peuvent donc être différentes.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd'hui]

Des recherches que nous avons menées avec Anne-Laure Perrin (article à paraître) ont confirmé ces résultats dans le contexte français : non seulement les enseignants français ne se représentent pas de manière identique la notion d’éducation inclusive mais leur approche se réfère encore beaucoup au modèle intégratif (47 % d’entre eux se réfèrent aux définitions A et B données précédemment).

Cette prégnance du modèle intégratif chez les enseignants peut aussi se traduire dans certaines des raisons qu’ils invoquent pour la mise en œuvre de l’éducation inclusive ou même certaines préoccupations que les enseignants peuvent avoir. Ainsi, par exemple, certains enseignants pensent que l’école inclusive est mise en place pour faire faire des économies au gouvernement, « pour se donner bonne conscience » ou en réponse « au lobby des parents d’enfants handicapés ».

Par ailleurs, certains enseignants peuvent penser qu’enseigner à des élèves à besoins éducatifs particuliers peut nuire au progrès des autres élèves. Ces projections et préoccupations ne sont pourtant pas représentatives de ce qu’est et ce que doit être l’éducation inclusive et nous semblent devoir alerter les différents acteurs de l’éducation.

Aussi, pensons-nous, que pour une mise en œuvre réussie de l’éducation inclusive, il faut prioritairement s’assurer que tous les acteurs travaillant à la participation sociale de l’élève, enseignants, parents, accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), cadres de l’éducation nationale, employés du secteur médico-social commencent par parler de cet objet en utilisant les mêmes termes. Cela nous semble ainsi renforcer le besoin de formations croisées mêlant ces différentes personnes afin de développer une culture commune et partagée de l’éducation inclusive (voir pour plus d’informations l’action 4 du PIA3 100 % IDT : un défi, un territoire).

Il est à noter que cette réponse ne doit en revanche pas se substituer aux autres mesures nécessaires (et pour certaines actuellement engagées) que ce soit au niveau des investissements (par exemple l’ouverture de nouveaux dispositifs), de la formation initiale et continue des enseignants ou encore de la professionnalisation et la sécurisation des conditions de travail des AESH. Prises ensemble, ces mesures contribueront alors à l’atteinte d’une école pleinement accessible.

Caroline Desombre, Professeure de psychologie sociale, Université de Lille et Mickaël Jury, Maître de conférence en psychologie à l'INSPÉ Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation