Suite aux violences urbaines provoquées par la mort de Nahel, Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, a diffusé, le 30 juin, une circulaire demandant une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ». Analyse de , magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), publié le 1er juillet sur son blog.

Dans sa circulaire du 30 juin 2023, le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti prolonge le propos du président de la République en appelant les parents à exercer leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants participants ou pouvant participer aux violences urbaines qui mettent la France à feu et à sang. Il ne se contente pas de leur rappeler la possibilité non seulement d’avoir à rendre pécuniairement des comptes aux victimes en devant réparer les dommages causés par leur progéniture. Il souligne la possibilité offerte d’engager des poursuites pénales pouvant déboucher sur une peine d’emprisonnement de 2 ans et une amende de 30 000€.

L’arbre ne doit pas cacher la forêt : si nombre des personnes interpellées sont mineures, et parfois très jeunes – on parle d’enfants de 13 ans – une très grande partie des casseurs et des pilleurs qui peuvent aller jusqu’à mettre en danger la vie d’autrui sont de jeunes adultes.

Bien évidemment le ministre comme le président de la République ont raison de rappeler qu’il revient aux adultes de faire pression y compris physiquement sur leurs enfants mineurs mais j’ajouterai aux jeunes adultes vivant à leur domicile de ne pas participer à des actes qui non seulement peut causer un énorme préjudice la société et à tous mais ils peuvent aussi avoir des conséquences singulièrement préjudiciables sur leur vie d’ores et déjà dans nombre de cas obérée.

Pour autant cet appel relève en grande partie de l’incantation.

Ceux des parents en état de faire autorité sur leurs enfants ont déjà pris les dispositions qui s’imposent pour qu’ils restent à l’écart voire sont tout simplement comme on l’a vu allés les chercher là où ils étaient pour les ramener à la maison par la peau des fesses. La question bien évidemment se pose pour ceux des parents qui de longue date ne font plus autorité. Comment imaginer qu’ils soient aujourd’hui en situation de le faire ? Les responsables politiques semblent ici hors sol !

Comme ils sont hors sol en parlant des parents comme si la famille moderne était encore celle qu’ils ont pu connaître avec deux parents et leurs enfants vivant sous le même toit s’entendant bien et unis par le mariage. Nul ne peut ignorer et le garde des Sceaux y fait allusion dans ses propos que nombre de foyers sont monoparentaux avec des enfants à la charge au quotidien de leur mère souvent en difficulté pour gérer l’ensemble de ses problèmes. Elle doit faire vivre tout son monde et tout simplement avoir une vie. Il pourrait y avoir fréquemment mais pas nécessairement un autre parent- le père -, plus ou moins éloigné, exerçant plus ou moins ses responsabilités, déjà financières mais aussi éducatives. On en est souvent loin.

Certes le président de la République et le Garde des Sceaux ont raison quand ils disent qu’il ne revient pas à l’Etat d’exercer des responsabilités sur les enfants à la place de leurs parents. Pour autant la puissance publique, d’Etat comme territoriale, a une part de responsabilité sur ce sujet et le moins qu’on puisse dire et qu’elle ne les exerce pas depuis des décennies à la hauteur où il faudrait, et ce malgré les conseils, recommandations, suggestions que les uns et les autres comme professionnels ou citoyens avons pu avancer (cf. notre rapport de 2014 sur les droits des enfants notamment d’avoir des adultes identifiés comme responsables).

"Tous les services de proximité pour les familles en difficulté, sont au rouge : du service social scolaire en passant par la psychiatrie infantile et les services sociaux territoriaux"

On peut trouver immédiatement quelques illustrations de ces manques et carences qu’on escamote aujourd’hui et qui sont autant de leviers sur lesquels il faudra jouer demain.

Le premier tient à la nécessité d’identifier qui, dans la famille moderne, est en situation de responsabilité sur les enfants qui ne repose plus fondamentalement et uniquement sur le mariage des deux géniteurs ensemble. On l’a dit nombre d’enfants - entre 55 et 60% des premiers enfants d’un couple- naissent désormais hors mariage. Le problème tient à ce qu’avec encore aujourd’hui environ 15% des pères n’établissent pas leur lien de filiation avec leur enfant. Donc entre 50 à 70 000 enfants naissent chaque année orpheline de père … sans que cela choque. En tous cas, il est ensuite difficile de convoquer les parents !

Et dans le même temps nombre de familles sont dites reconstituées avec au domicile des adultes qui peuvent ne pas être juridiquement les parents des enfants présents. On évalue à 1, 5 à 2 millions le nombre de ces enfants ayant un beau-père ou une belle-mère. On attend toujours que la loi vienne dire quels sont les droits et devoirs de ces adultes à l’égard de ces enfants. Contrairement au discours qui a pu tenir un temps Mme Morano alors ministre de la famille relayé par le président d’alors, ce n’est pas aux parents de s’entendre entre eux au nom de la liberté des failles, c’est à la loi de dire, dans l’intérêt général et des plus faibles, qui doit faire quoi.

Encore faut-il aussi étayer, accompagner et soutenir les parents en difficulté qui ne peuvent pas trouver au sein de la famille élargie les soutiens qui leur sont nécessaires. Or ici force est de constater, comme nous le disons depuis des années que tous les services de proximité pour les familles en difficulté, sont au rouge : du service social scolaire en passant par la psychiatrie infantile et les services sociaux territoriaux. 17 départements donc plus de Clubs et Équipes de prévention pour aller au contact des jeunes en danger avec un souci d’éviter qu’ils ne basculent dans la délinquance. Commentant le futur code de justice pénale des mineurs je me permettait en 2021 d’avancer avec un humour grinçant, mais lucide que nous étions en train de nous entendus doter de l’instrument juridique qui serait utile à échéance de 5 à 10 ans pour sanctionner les enfants qui dans ce contexte d’abandon inéluctablement n’allaient pas manquer à être en conflit avec la loi. Je ne me trompais pas quand Éric Dupont-Moretti appelle à user du jugement en audience unique, soit le flagrant délit pour les mineurs.

Plus sérieusement il ne s’agit pas comme semble le craindre le président de la République de se substituer aux parents- qui le demandent - mais d’aider ceux qui sont dépassés pour mille et une raisons.

Ajoutons – et nul ne l’ignore – que nombre des mesures prononcées par les juges pour enfants dans le cadre de la procédure dite d’assistance éducative pour aider les parents à exercer leurs responsabilités et garantir le droit à la protection et à l’éducation des enfants ne sont pas exercées faute de moyens. De longue date les mesures dites de milieu ouvert où une équipe éducative accompagne l’enfant resté à domicile ; plus grave désormais, des enfant tenus pour être en danger continue à demeurer au domicile alors même que le juge pour enfants a ordonné leur mise à l’abri. Au point où le législateur a légalisé ces situations et que des départements en sont à créer des services d’accueil à domicile. Kafka !

Dans ces conditions il ne faut pas s’étonner qu’au fur-et-à-mesure le « bel enfant » se transforme en un « sauvageon » sur lequel plus personne a vraiment prise, susceptible de suivre aussi bien les mafieux que les prédicateurs, sans autre perspective de vie que celles qui sont actuellement les siennes, défiant de tous, notamment de ceux qui font autorité mais souvent aussi de lui-même au point d’être nihiliste. Comment respecter une loi qui (apparemment) ne vous protège pas ? Qu’on ne s’y méprenne pas ces jeunes, voire ces enfants devront rendre des comptes pour leur comportement, devant la justice et peut être les habitants du quartier premières victimes de leurs exactions. Expliquer n’est pas tolérer contrairement à ce qu’avançait bêtement Manuel Valls. Il faut comprendre pour s’attaquer aux racines et prévenir la réitération.

Il est bien sûr indispensable de rappeler aux personnes en charge des mineurs qu’elles peuvent engager non seulement leur responsabilité civile, avec parfois de très lourdes indemnisations, au titre de l’autorité qui leur a été reconnue voire assignée.

Il n’est pas utile ici de rappeler trois éléments essentiels.

Tout d’abord c’est l’enfant qui a priori sera tenu d’indemniser les victimes privées ou publiques même si dans l’instant il se trouve dans l’impossibilité de le faire. La victime sur la base de cette condamnation pourra venir lui demander des comptes une fois qu’il disposera de fonds.

Deuxième remarque : en l’espèce les parents sont tenus pour civilement responsables du  fait de l’enfant. Peu importe qu’ils aient ou non commis une faute dans l’éducation ou la surveillance ; il suffit qu’il y ait un lien juridique entre eux et l’auteur du dommage. Il n’est pas inutile de rappeler que l’enfant lui-même peut engager sa responsabilité sans avoir commis de faute volontaire ou imprudence : il suffit qu’il ait eu la maîtrise de l’objet à l’origine du préjudice. Par exemple, le bâton qui crève l’œil. En d’autres termes au final c’est une responsabilité en cascade qui peut se déclencher où le parent sera tenu pour responsable du préjudice causé par l’objet que son enfant tenait dans sa main. A fortiori si l’enfant a agi volontairement pour casser ou blesser.

Troisième élément à prendre en considération : est tenu pour le parent responsable non pas celui avec lequel l’enfant vivait au quotidien, mais celui qui est en droit a autorité sur lui. Par exemple, s’agissant de famille ultramarine, si les parents sont en Guadeloupe ou à la Martinique alors que l’enfant demeure en métropole pour ses études avec sa grand-mère, ils verront leur responsabilité civile engagée quoique n’ayant rien pu empêcher.

"Il s’agit déjà de réconcilier nombre d’enfants et de jeunes personnes avec leur destin, avec la société, avec eux-mêmes"

Bien évidemment le ministre est légitime à rappeler que les parents peuvent aussi engager leur responsabilité pénale pour leur défaillance dans l’éducation ou la surveillance de leur enfant, a fortiori s’ils sont complices des actes qu’il a pu commettre ou en ont non bénéficié.

Il est fait un usage modéré de l’article 227-17 du code pénal. Généralement dans les situations de déscolarisation où on peut penser que les parents n’ont pas insisté comme ils auraient dû le faire pour éveiller leur enfant à l’intérêt d’aller à l’école, quand la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans. Généralement les peines prononcées lorsque la procédure va à échéance sont des peines de prison avec sursis. On voit bien l’incongruité qu’il y aurait à incarcérer le parent pour inciter l’enfant à aller à l’école. Le but n’est pas de le punir pour le passé, mais de le mobiliser pour l’avenir.

On est d’ailleurs sur un paradoxe, à savoir de demander à des parents de faire autorité tout en les qualifiant de délinquants … pour éviter que leur enfant ne soit lui-même délinquant ou le demeure !  Kafka encore.

On voit dès lors les limites de ce dispositif. Il s’agit plus pour législateur de rappeler formellement et avec solennité à travers le code pénal leurs obligations et leurs devoirs. Mais ne doit-on pas déjà s’interroger sur ce qui bloque et apporter le soutien susceptible de dépasser ces difficultés. On retombe sur le besoin de travail social.

L’hymne à la responsabilité parentale est donc une nouvelle fois entonné avec son caractère incantatoire.  On ne serait pas surpris à bref délai de voir réapparaître l’idée de retirer aux parents le bénéfice des prestations sociales ouvertes du chef de l’enfant délinquant ou tout simplement déscolarisé.

Reste, et on a essayé de le montrer, que sur un sujet aussi essentiel où il s’agit déjà de réconcilier nombre d’enfants et de jeunes personnes avec leur destin, avec la société, avec eux-mêmes, les réponses simplistes et linéaires relèvent plus du mouvement de jugulaire que d’une politique sérieuse et crédible.

Il va déjà nous falloir au plus rapidement possible en évitant ce qu’on a pu vivre en 2005 de rétablir l’ordre public et la paix, ce qui passe indéniablement par l’inversion du rapport de force et le retour au calme y compris par la mise à l’écart de ceux qui pillent ou mettre en danger la vie d’autrui. Mais quand le problème concerne sur l’ensemble du territoire autant de jeunes, la France ne pourra plus l’économie d’une approche globale et d’une stratégie à long terme dans laquelle pour le coup chacun assumera sa part de responsabilité ; les parents certes, mais aussi la puissance publique.

Mieux la conjoncture appelle à un bing bang (voir billet précédent)