Une évaluation approfondie des centres éducatifs fermés (CEF), menée par l'Inspection Générale de la Justice (IGJ) à la demande du Garde des Sceaux, met en lumière des défis majeurs et des dysfonctionnements structurels dans la prise en charge des mineurs délinquants.
Les CEF accueillent des mineurs aux profils de plus en plus complexes, caractérisés par une augmentation des infractions liées à la violence et aux stupéfiants. « L’augmentation de la part prise par les violences et la hausse très sensible des mineurs poursuivis pour des faits en lien avec les stupéfiants peuvent être de nature à compliquer leur prise en charge au sein d’un collectif notamment, pour ce dernier type d’infraction, du fait de la puissance de certains réseaux, qui cherchent à maintenir les liens avec le mineur pendant son placement », observent les auteurs du rapport. La proportion de primo-délinquants n'a pas augmenté avec le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM).
Le profil socio-démographique des jeunes reste stable (95 % de garçons, 80 % de nationalité française, 16 ans en moyenne). En 2024, les mineurs non accompagnés (MNA) représentent une faible proportion des placements en CEF, avec seulement 4 % des effectifs, une baisse notable par rapport aux 6 % enregistrés en 2021. Ce qui interpelle, c'est la profondeur de leurs fragilités de ces jeunes : 65 % ont un parcours en protection de l'enfance, leurs situations familiales sont souvent précaires (63 % à 77 % de parents séparés, 7 % à 8 % d'orphelins, nombreux ayant un parent incarcéré). Une étude révèle une prévalence alarmante de troubles psychiatriques (80 % avec des troubles des conduites), d'addictions (81 % avec au moins une, le cannabis atteignant 66 % en 2024), et un décrochage scolaire massif (71 % déscolarisés à leur arrivée). Les CEF se retrouvent ainsi en première ligne, tentant de pallier les défaillances cumulées des systèmes de protection de l'enfance, de santé et d'éducation.
Malgré les besoins criants exprimés par les juges des enfants, qui déplorent un manque de places, l'objectif d'un taux d'occupation de 85 % est loin d'être atteint. Après avoir atteint 72 % en 2024, il est même redescendu à 63 % en septembre 2024. Une disparité persiste entre le secteur associatif habilité (SAH) (75 %) et le secteur public (65 %). La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ) constate que « 36 % des CEF étaient en incapacité d’assurer l’activité sans risques »., soulignant les tensions opérationnelles.
Le programme de construction de 22 CEF de "nouvelle génération", prévu par la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019, peine considérablement à se concrétiser. Seuls quatre CEF sont actuellement opérationnels, et leur déploiement se heurte à de nombreux obstacles, notamment liés à leur implantation. La Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a eu du mal à rééquilibrer l'offre sur le territoire, laissant des régions clés comme l'Ile-de-France et le Sud-Est cruellement sous-équipées. Ce programme ambitieux, défini par des choix stratégiques et géographiques précis, dépasse systématiquement les estimations budgétaires initiales. Lancé avec une prévision de coût de 4,5 millions d'euros par CEF (foncier inclus), les opérations ont, sans exception, dépassé les 5 millions d'euros, atteignant même 6 ou 7 millions pour certains projets. Cette inflation fait peser de sérieuses inquiétudes sur la faisabilité globale du programme et son impact sur les finances publiques. À ce jour, cinq projets de construction restent en attente d'un terrain pour établir un calendrier d'ouverture.
Vacances de postes, absentéisme, défaut d’attractivité
L'enquête de l'IGJ, tout en saluant « l’engagement des intervenants en CEF », souligne les limites du dispositif actuel et met en lumière des dysfonctionnements significatifs. Chaque CEF est théoriquement doté de 26,5 équivalents temps plein (ETPT) pour 12 mineurs placés, soit un ratio idéal de 2,2 adultes par jeune. Cependant, la réalité est tout autre. Un absentéisme élevé et de nombreux postes vacants, non compensés par des recrutements suffisants, empêchent d'atteindre ces effectifs. Conséquence directe : une dégradation de la relation éducative et une déstabilisation des structures entières.
Les activités de jour sont souvent jugées trop occupationnelles, les heures d'enseignement insuffisantes et la prise en charge de la santé trop inégale. « Ceci est dû en partie aux problèmes de gestion des ressources humaines qui se multiplient en raison de vacances de postes, d’absentéisme, d’un défaut d’attractivité, conduisant à recourir aux heures supplémentaires, aux contrats à durée déterminée et à l’intérim. L’équipe éducative est ainsi parfois insuffisamment formée et peut manquer d’expérience ce qui impacte la qualité de la prise en charge des jeunes », souligne le rapport. L'absence de cadre juridique clair pour l'usage de l'intérim est également critiquée.
Les visites de la mission dans 17 CEF sur les 56 existants et les réponses aux questionnaires révèlent des perceptions divergentes de l'impact du placement. Pour les juges des enfants, le CEF est une alternative structurante à l'incarcération. Les équipes éducatives y voient un outil de sanction et de réponse aux besoins éducatifs, mais estiment qu'il intervient souvent trop tardivement. Les mineurs, quant à eux, oscillent entre le bénéfice d'un cadre sécurisé et le poids de la privation de liberté.
L'entrée en vigueur du CJPM a modifié les délais de procédure, introduisant de nouvelles étapes qui ne s'alignent pas toujours sur le cahier des charges des CEF. Si le rapport de l'IGJ ne constate pas d'incidence majeure sur la durée des placements, il souligne néanmoins une influence sur la charge et les méthodes de travail des professionnels, dont l'évaluation reste à formaliser. Un travail de pédagogie est également nécessaire de la part des magistrats et des équipes éducatives pour que les mineurs assimilent ces changements et adhèrent mieux à leur placement.
Développer un accompagnement spécifique post-placement
L'efficacité d'un placement en CEF dépend crucialement de sa durée et de la solidité du projet de sortie. Or, seuls 55 % des mineurs atteignent la durée recommandée de six mois, et 82 % retournent en famille, souvent par manque de solutions adaptées. La DPJJ est appelée à développer un accompagnement spécifique post-placement, en renforçant les mesures en milieu ouvert et en diversifiant les modalités d'hébergement. « Le risque de réitération ou de récidive ne pourra pas être atténué uniquement par un placement positif en CEF, mais bien par l’intensité d’une prise en charge de la PJJ. La charge de travail en milieu ouvert pose la question de la disponibilité des équipes en accompagnement de sortie de CEF, alors qu’un simple suivi par un éducateur de milieu ouvert ne peut suffire pour assurer dans un premier temps un accompagnement intensif et régulier en sortie d’une prise en charge contenante », analyse le rapport. De plus, la consolidation des projets de sortie bute sur deux obstacles majeurs : une sous-utilisation des outils disponibles pendant le séjour en CEF pour construire ces projets et un manque de diversification des offres éducatives pour la suite du parcours des jeunes.
L'IGJ déplore également l'insuffisance criante d'analyses chiffrées sur le parcours des mineurs placés en CEF, notamment concernant la réitération et la récidive, malgré quinze ans de demandes législatives. Le logiciel « Parcours », censé pallier ce manque, accuse des retards de développement et n'est toujours pas accessible au secteur associatif habilité (SAH), produisant des données insuffisantes et de faible qualité.
100 ETP d'éducateurs nécessaires et expérimentation de services de suite
Pour que l'investissement dans les CEF ne soit pas vain, la mission d'évaluation insiste sur l'absolue nécessité de renforcer l'accompagnement des jeunes à leur sortie. Alors que plus de la moitié (environ 55 %) des mineurs passent au moins six mois en CEF, le rapport estime qu'il faudrait 100 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires d'éducateurs pour garantir un suivi efficace. Ce renfort se répartirait entre le milieu ouvert (20 ETP) et le développement de structures comme les unités éducatives d'hébergement diversifié - UEHD (80 ETP).
Pour financer ces postes, plusieurs pistes sont explorées : au-delà des créations, des réaffectations de personnels sont suggérées. Le rapport mentionne les 213 ETP d'éducateurs actuellement affectés au civil, ou un rééquilibrage des effectifs entre les Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) et les CEF, une proposition déjà faite par la Cour des comptes. D'autres options incluent le financement de places par la PJJ dans des dispositifs d'accueil spécialisés. La mission IGJ invite également la DPJJ à envisager l'expérimentation de services de suite par les CEF, une proposition de la CNAPE. « Lors de la visite d’un CEF, la mission s’est vu présenter une expérimentation menée depuis trois ans, dont l’évaluation donne des résultats encourageants : 80 % de non récidive 24 mois après la sortie et 73 % encore dans leur projet d’insertion. La DPJJ a fait le choix de clore brutalement ce mode de partenariat, arguant du manque de support juridique à l’intervention des éducateurs du CEF en post-placement », déplorent les rapporteurs.
« Le CEF ne peut être ni le seul opérateur, ni une réponse unique »
« Le CEF ne peut être ni le seul opérateur, ni une réponse unique », concluent les inspecteurs de l'IGJ. Ils ajoutent : « Le développement du programme des CEF doit s'inscrire dans une logique de complémentarité avec des équipements distincts et non au détriment d'autres formes de prise en charge. Il s'agit de consolider en parallèle les différents dispositifs d'accueil éducatif au pénal tels que les unités d'hébergement diversifié, les foyers éducatifs classiques, les lieux de vie, pour construire un parcours sécurisant et garantir la poursuite des projets individualisés rendus possibles grâce au placement en CEF. »
Enfin, l'IGJ exhorte la DPJJ à « opérer des choix stratégiques pour assurer dans la durée la consistance et la crédibilité de son intervention sur les mineurs délinquants les plus complexes et éviter que l’investissement élevé du programme CEF ne constitue une dépense à perte ».
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