Le rapport intermédiaire de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), publié fin mars, proposait de "clarifier l'obligation de signalement" par les médecins. L’Ordre s'est déclaré "pas favorable"  à cette mesure. Le collectif Stop Violences Médecins se dit "consterné" par ce choix.

Dans ses conclusions intermédiaires rendues publiques le 31 mars (lire notre article), la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) préconise de « clarifier l'obligation de signalement » des enfants victimes de violences sexuelles par les médecins. Une proposition qui ne trouve pas grâce auprès de l'Ordre des médecins qui s'est exprimé sans attendre. Dès le 31 mars, Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du conseil national de l’ordre des médecins, a déclaré que l’Ordre n’était « pas favorable » à cette mesure.

« Il n’y a pas d’obligation de signalement, mais nous sommes tenus à une obligation de protection. Quand un médecin est sûr qu’il y a des violences sexuelles, il se doit de faire un signalement au procureur de la République. Quand il a des soupçons, il peut faire une information préoccupante auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger [CRIP, chargée d'évaluer les situations de mineurs en danger afin d’engager des actions de protection de l’enfance, ndlr] », a-t-elle fait savoir à l’Agence France-Presse. Concrètement, selon l'Ordre, les médecins ne devraient signaler auprès du procureur de la République que « s’ils sont sûrs de l’existence des maltraitances ».

"Le médecin n’est ni un enquêteur ni un magistrat et il n’est donc pas de son rôle d’être sûr des faits"  

Dans un communiqué de presse publié le 19 avril, le collectif Stop Violences Médecins a exprimé « sa consternation face à la position prise publiquement par l’ordre des médecins ». Le groupement qui compte une quarantaine de membres (médecins de toutes spécialités : généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, médecins du travail, réanimateurs…) fait remarquer que le médecin n’est ni un enquêteur ni un magistrat et qu’il n’est donc pas de son rôle d’être sûr des faits. « Le médecin ne peut que supposer et transmettre à la justice ou aux services sociaux les éléments venus à sa connaissance qui lui font supposer que l’enfant est susceptible d’être en danger. L’enquête et la mise en œuvre éventuelle de la protection relèvent des services sociaux- judiciaires mandatés à cet effet. Devoir être sûr des faits pour signaler au Procureur reviendrait pour un médecin à ne jamais pouvoir signaler », explique-t-il.

Seuls 5% des signalements de violences sexuelles sur mineurs sont le fait de personnels du secteur médical

Le Collectif insiste sur le fait que le signalement aux autorités judiciaires ou administratives  est « le seul moyen dont le médecin dispose pour protéger un enfant en danger ». Dans ses recommandations, datant de 2011, et intitulées "Repérage et signalement de l’inceste par les médecins : reconnaitre les maltraitances sexuelles intrafamiliales chez le mineur",  la Haute autorité de Santé (HAS)  rappelle que les médecins « font partie des acteurs de proximité les plus à même de reconnaitre les signes évocateurs d’une maltraitance ». Mais en dépit de cette position privilégiée pour le repérage systématique des maltraitances envers les enfants, seuls 5% des signalements de violences sexuelles sur mineurs sont le fait de personnels du secteur médical.

Rappelons que l'obligation de signalement pour les médecins existe déjà dans d’autres pays. Appelée "mandatory reporting", elle est en vigueur depuis plus d'une cinquantaine d'année aux Etats Unis, elle existe également au Canada ainsi que dans de nombreux pays européens. Plusieurs études ont mis en évidence qu'une obligation de signalement s'accompagne d'une hausse significative du nombre de signalements. « En France certains médecins sont déjà soumis à une telle obligation de signalement : les médecins scolaires ainsi que les médecins de PMI (protection maternelle et infantile) ; il ne s’agirait donc que d’élargir cette obligation à tous les médecins sans distinction », poursuit le Collectif.

En France, ce n'est pas la première fois que l'obligation de signalement des médecins fait débat. Depuis plus de vingt ans, Catherine Bonnet, pédopsychiatre et spécialiste des violences sexuelles sur mineurs, soutenue par des parlementaires, se mobilise pour introduire dans le code pénal l’obligation de signalement pour les médecins.  La question avait à nouveau été examinée, en février 2020, au Sénat suite à la remise du rapport d'information fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur « l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs ».

Parmi les arguments avancés pour s'opposer à l'obligation de signalement, l'Ordre des médecins cite « la crainte de voir des enfants éloignés du soin par la famille maltraitante, y compris pour des soins qui pourraient être ordinaires ». Dans une interview accordé à Egora.fr, Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi  déclare : « Si les parents savent qu’il y a une obligation de signalement, il y a des enfants qui seront malheureusement court-circuités du service médical ».  Un point de vue que ne partage pas le collectif Stop Violences Médecins. Ce dernier rappelle que le besoin de sécurité chez l’enfant est « la condition première de sa santé physique et psychique ». Et d'ajouter : « l’accès aux soins pour l’enfant maltraité devient régulier et efficace seulement une fois les mesures de protection mises en œuvre par la justice et les services sociaux ».

"L’irrecevabilité par le Conseil de l’Ordre de toute plainte s’inscrivant dans le cadre de la suspicion de maltraitances à enfant"

Autre point fort du débat : dans son rapport intermédiaire, la Ciivise recommande également de suspendre, pendant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant, toute poursuite disciplinaire à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalements. Sur ce point aussi, le Collectif Stop Violences Médecins est sur la même longueur d'onde que la commission indépendante. Partant du constat que dans les situations de maltraitances d’enfants, les plaintes contre les médecins  proviennent « le plus souvent du ou des parents agresseurs », il se déclare favorable à « l’irrecevabilité par le Conseil de l’Ordre de toute plainte s’inscrivant dans le cadre de la suspicion de maltraitances à enfant ». Une position parfaitement logique puisque le collectif Stop Violences Médecins est né des suites des condamnations ordinales des pédopsychiatres Eugénie Izard et Françoise Fericelli, dans le cadre de signalement pour maltraitances sur mineurs.