Avocat pénaliste et président de l'association CDP-Enfance (Comprendre Défendre Protéger l'Enfance), Pascal Cussigh passe en revue les obstacles voire les aberrations de la justice dans la protection des enfants victimes de violences sexuelles ou d'inceste. Il appelle le gouvernement à agir pour mettre fin à un système défaillant. Interview.

Une campagne nationale de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants et l'inceste a été lancée il y a un mois. Cette mesure satisfait-elle CDP-Enfance ?

Pascal Cussigh. Parler des violences sexuelles sur les mineurs et de l’inceste est une bonne chose mais aborder ce sujet uniquement sous l’angle de la libération de la parole de la victime est hypocrite. La vraie difficulté n’est pas que l’enfant parle mais que la société l’écoute. Avec le mouvement #metooinceste, les victimes ont largement parlé. Le nombre de plaintes a fait, ces dernières années, un bond spectaculaire. Et c’est à ce niveau que les défaillances se multiplient. Une fois qu’elles auront parlé, les victimes vont-elles pouvoir bénéficier de soins pour traiter le psychotrauma ? Non. La plupart vont avoir les pires difficultés à se soigner puisque peu de professionnels sont formés. Le trauma est complètement absent de la formation des médecins. Une aberration totale. La majorité des magistrats, des services sociaux missionnés par les juges pour enfants ne sont pas non plus formés au psychotrauma. Les pouvoirs publics promettent de longue date d’améliorer la formation des différents professionnels mais les progrès sont très lents.

Selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), seules 3% des plaintes pour viols sur mineurs de 15 ans donnent lieu à une condamnation du mis en cause. Quel regard l’avocat pénaliste que vous êtes porte-t-il sur le fonctionnement de la justice pour ces victimes ?

P.C. Les chiffres sur le nombre de condamnations devraient faire bondir n’importe quel responsable politique. Au niveau judiciaire, la parole de l’enfant n’est pas accueillie correctement. Les tribunaux affichent un manque de moyens pour traiter toutes les nouvelles plaintes consécutives à la libération de la parole. Des parquets sont surchargés avec des enquêtes bâclées, qui entraînent ensuite des contentieux. Le système judiciaire est totalement défaillant. Les victimes ont perdu confiance en la justice car elles vont subir moults difficultés après avoir libéré leur parole. La petite musique que l’on entend actuellement consiste à dire que la victime de violences sexuelles ou d’inceste peut se réparer par d’autres moyens que la procédure en justice telle que la justice restaurative.

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