Dans quelle mesure l’exposition précoce ou excessive aux écrans influence-t-elle le développement cognitif de l’enfant ? Une étude dirigée par Jonathan Bernard, chercheur de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) s'est penchée sur cette question, en utilisant les données de près de 14 000 enfants de la cohorte française Elfe*, collectées de leurs 2 ans à leurs 5 ans et demi entre 2013 et 2017.

En France, le temps d'écran quotidien était en moyenne de 56 minutes à l'âge de 2 ans, 1h20 à 3 ans et demi, et 1h34 à 5 ans et demi, soit des durées supérieures aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui préconise de ne pas exposer les enfants de moins de 2 ans aux écrans, puis de limiter le temps à 1 heure par jour entre 2 et 5 ans. 

L’équipe scientifique « a cherché à évaluer les associations entre utilisation d’écran et développement cognitif dans la petite enfance, en prenant en compte les facteurs liés au contexte social, périnatal, familial et aux habitudes de vie », indique l’Inserm dans un communiqué du 13 septembre.

Premier constat : le temps d’écran n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Le contexte dans lequel a lieu l’utilisation de l’écran pourrait également représenter un facteur important. Les résultats de l’étude montrent aussi que, indépendamment du temps d’exposition, avoir la télévision allumée pendant les repas en famille à l’âge de 2 ans (ce qui concerne 41 % des enfants) était associé à de moins bons scores de développement du langage au même âge. Ces enfants présentaient également un moins bon développement cognitif global à 3 ans et demi. C'est « le contexte dans lequel sont utilisés les écrans et non seulement le temps d'écran (qui) joue sur le développement cognitif des enfants », concluent les auteurs de cette étude, réalisée sous l'égide de l'Inserm et publiée dans la revue Journal of Child Psychology and Psychiatry.

« Cela pourrait s’expliquer par le fait que la télévision, en captant l’attention des membres de la famille, interfère avec la qualité et la quantité des interactions entre les parents et l’enfant. Or, celle-ci est cruciale à cet âge pour l’acquisition du langage », explique Shuai Yang, doctorant et premier auteur de l’étude. Et d'ajouter : « De plus, la télévision ajoute un fond sonore qui, lorsqu’il se superpose aux discussions familiales, va rendre difficile le déchiffrage des sons pour l’enfant et limiter la compréhension et l’expression verbales ».

"Lorsqu’un enfant utilise un écran excessivement, il le fait au détriment d’autres activités ou interactions sociales essentielles pour son développement"

Certes, « aux âges de 3,5 et 5,5 ans, le temps d'exposition aux écrans était associé à de moins bons scores de développement cognitif global, en particulier dans les domaines de la motricité fine, du langage et de l'autonomie », détaille l'Inserm dans un communiqué. Cependant, lorsque les facteurs relatifs au mode de vie et susceptibles d'influencer le développement cognitif étaient pris en compte (...), la relation négative se réduisait et devenait de faible magnitude ».

« Les premières années de vie sont décisives pour le développement cognitif, mais aussi dans la mise en place des habitudes de vie, ajoute Jonathan Bernard. Lorsqu’un enfant utilise un écran excessivement, il le fait au détriment d’autres activités ou interactions sociales essentielles pour son développement ». Le chercheur de l'Inserm indique : « si nos résultats suggèrent que les effets délétères de l’utilisation des écrans dans la petite enfance présentent un faible impact sur le développement cognitif et peuvent être compensés dans les années suivantes, ils justifient cependant de rester vigilants à l’échelle de la population. En santé publique, les petits ruisseaux font les grandes rivières. »


*Étude longitudinale française depuis l'enfance », la cohorte Elfe est la première étude longitudinale française consacrée au suivi des enfants de la naissance à l’âge adulte.