En France, chaque année, des milliers d’enfants et adolescents sont privés d’éducation. Afin d'établir un diagnostic précis du phénomène et de proposer des solutions adaptées pour y mettre fin, l'UNICEF France demande au gouvernement la mise en place d'Observatoire national de la non-scolarisation.

« Aujourd'hui, 4 septembre 2023, 1 1997 900 élèves reprennent le chemin de l'école en France. Malheureusement, plusieurs milliers d'autres enfants en France n'ont pas cette chance. lls et elles restent invisibilisés, laissés pour compte, exclus de l'école de la République ». Dans une lettre ouverte adressée à Elisabeth Borne, la Première ministre, Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France appelle le gouvernement à se préoccuper de la situation des milliers d’enfants restés à la porte des écoles en dépit des articles 28 et 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant qui garantissent à chacun le droit à l’éducation, également rendue obligatoire par la loi Jules Ferry de 1882. 

A l'instar de la Défenseure des droits et du Défenseur des enfants, le 1 er septembre, (lire notre article), la présidente de l'UNICEF France pointe la diversité des entraves à la scolarisation. Sont notamment concernés, les enfants en situation de handicap, en situation de danger, les enfants vivant dans des situations de grande précarité notamment en hôtels sociaux, en squats, bidonvilles ou hébergés chez des tiers, les enfants Roms, les enfants de Voyageurs et de familles itinérantes, les mineurs non accompagnés, les enfants dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, ainsi que les enfants en conflit avec la loi, détenus en quartier pour mineurs ou en établissement pénitentiaire pour mineurs. « Leur droit à l'éducation est mis à mal par de multiples facteurs, tels que l'absence de dispositifs d'accueil adaptés ou de places à l'école, le manque d'accompagnement adapté, les freins administratifs à l'inscription scolaire, les discriminations, ou encore l'éloignement géographique », dénonce la représentante de l’agence onusienne dans l’Hexagone. « Les conséquences de la non-scolarisation sont durables et portent atteinte aux droits et à l’avenir des enfants mais elles érodent aussi l’idéal démocratique et les valeurs de la République », ajoute-t-elle.
Le 2 juin, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, organe de surveillance de la mise en application de la Convention de droits de l'enfant (CIDE) à exhorter l'Etat français, dans ses observations finales, à prendre à améliorer l’accessibilité et la qualité de l’éducation pour les enfants en situations défavorisées et marginalisées. La France est appelée également à prendre les mesures nécessaires pour améliorer la scolarisation et la fréquentation scolaire dans les territoires d'outre-mer, notamment Mayotte et la Guyane.

"Aucune donnée nationale chiffrée et vérifiée n’est disponible, laissant ces enfants dans l'angle mort de l'Éducation nationale"

Il est encore difficile d’évaluer précisément le nombre d’enfants et adolescents non-scolarisés. « Ces chiffres sont parcellaires et l’ampleur du phénomène reste largement méconnue. Aucune donnée nationale chiffrée et vérifiée n’est disponible, laissant ces enfants dans l'angle mort de l'Éducation nationale. L’absence de statistiques fiables empêche la mise en place de solutions adaptées à chaque profil », explique l'UNICEF France. 

Lire également "INTERVIEW Anina Ciuciu, avocate et marraine du Collectif #EcolePourTous : « 100 000 enfants privés d'école restent dans un angle mort des politiques publiques »"

Dans des territoires ultramarins, Mayotte et la Guyane sont particulièrement concernées. L'association fait état de 10 000 enfants hors de l’école en Guyane, le taux de scolarisation des enfants de 6 à 13 ans y étant pratiquement de 8 points inférieur à la moyenne de l'ensemble du territoire national. Commandée par la CNAPE, les Apprentis d’Auteuil et Mlezi Maore-groupe SOS, une étude publié en avril dernier, de l’Université Paris-Nanterre menée par Gilles Séraphin, professeur des Universités, et Tanguy Mathon-Cécillon, chargé de recherche, a estimé que 5 300 à 9 500 enfants âgés de 3 à 15 ans ne vont pas ou plus à l’école à Mayotte, sur 108 000 enfants de cette classe d’âge. L’étude établit également qu’au minimum de 500 enfants en situation de handicap sont non-scolarisés (lire notre article).
Le nombre d' enfants non-scolarisés vivant dans les bidonvilles de France hexagonale est aussi imprécis. En 2019, la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL)  faisait état que parmi les 6 000 enfants vivant en bidonvilles et en squats, 70% étaient non-scolarisés, en décrochage scolaire ou suivant une scolarité discontinue, soit 4200 enfants. Selon un bilan de la DIHAL publié en juin, 40 médiateurs scolaires répartis dans 15 départements accompagnent les enfants vivant en bidonvilles dans leur scolarisation. Et 2856 enfants sont aujourd'hui accompagnés dans leur scolarité par un ou une médiatrice scolaire contre 1954 en 2020-2021 (lire notre article). L'enquête ENFAMS (Enfants et familles sans logement) de l'Observatoire du Samu social de Paris montrait ainsi dès 2014 que 10,3% des enfants qui vivaient à l'hôtel (parmi 10 280 familles) n'étaient pas scolarisés. Enfin, d'après une étude de l'Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), 23% des enfants en situation de handicap n'ont "aucune heure de scolarisation" (lire notre article).

L'UNICEF France réclame donc au gouvernement la mise en place d’un Observatoire de la non-scolarisation dès 2024, « dans le cadre du plan d'action pour la réalisation de la Garantie européenne pour l'enfance à l'horizon 2030 ». Et Adeline Hazan de défendre : « Cet Observatoire permettrait de dresser un diagnostic précis de la scolarisation des enfants éloignés de l'école et de proposer des solutions adaptées et concertées à chaque type de situation de vulnérabilité, selon le territoire concerné ».

L'agence onusienne appelle également le gouvernement à « poursuivre et concrétiser les travaux interministériels exploratoires qui ont débuté récemment », en vue d'une mise en œuvre de l'Observatoire dès janvier 2024. Selon l'association, le financement de cet observatoire pourrait s'inscrire dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2024. De plus, un décret permettrait de définir les modalités de son fonctionnement « dès cet automne ».

Adeline Hazan souhaite que cet Observatoire soit inscrit parmi les mesures du Pacte des Solidarités, qui sera présenté le 18 septembre, ce qui représenterait « un vecteur idéal pour sa mise en œuvre du fait de sa dimension interministérielle, et de son approche multidimensionnelle de la vulnérabilité des enfants »