Les mesures « régaliennes » annoncées par la Première ministre, le 26 octobre, en réponse aux émeutes urbaines de l'été dernier sont sévèrement critiquées, sur les réseau sociaux, par certains acteurs et observateurs de l'enfance et la jeunesse.


Anne Devreese : « Miser sur l'éducation pour transformer la société »

Deux jours après les annonces de la Première ministre (lire notre article), Anne Devreese - présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et directrice générale adjointe (DGA) à l'enfance, la famille et la jeunesse au conseil départemental du Nord - exprime sur le réseau professionnel LinkedIn un point de vue critique :

« Stages de responsabilité parentale, encadrement militaire de la jeunesse... autant de vieilles idées qui n'ont jamais marché. Quitte à faire les fonds de tiroirs, je préfère relire Fernand Deligny [éducateur français et référence majeure de l'éducation spécialisée, ndlr], et miser sur l'éducation pour transformer la société. "T'interdire de les punir t'obligera à les occuper" », écrit-elle, reprenant une citation de Fernand Deligny, dans son livre Graines de crapule, publié en 1945.


Jean-Pierre Rosenczveig : « Une escroquerie délibérée pour camoufler l'inaction dans les quartiers »

Sur LinkedIn également, Jean-Pierre Rosenczveig fustige, quelques heures après sa présentation, le plan anti-émeutes de la Première ministre. Afin de nourrir le débat, l'ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et co-président de la commission Enfances Familles Jeunesses de l’UNIOPSS avait présenté, le 23 octobre, sur son blog, « un pré-projet de loi consacrant les responsabilités parentales ».

« Décidément ceux qui nous gouvernent ne comprennent rien, ils ne capitalisent pas l'histoire, et ils pensent que seule la peur d'être puni meut les comportements vertueux ! Ce Plan 1ere partie Autorité est décourageant, d'une autre époque et surtout scandaleux politiquement : il laisse à penser que ce sont les plus jeunes qui ont embrasé les banlieues cet été quand seulement 1/3 des interpellés - pas des acteurs- étaient mineurs. Faux ! Archi faux !

Ce n'est pas une erreur d'analyse qui serait pardonnable ; c’est une escroquerie délibérée pour camoufler l'inaction dans les quartiers et le refus du Plan Borloo. Reprojetons les images SVP. Rien ne va changer.
Qui veut-on tromper ? Une nouvelle fois on flatte les bas instincts par calcul politique inepte - Éric Ciotti ne s’en satisfera pas ! - et on fait fi de l’intelligence tout en se réunissant à la Sorbonne ! En finir avec l’ancien temps vous aviez dit ! Renverser la table aviez-vous promis ! On nous sert du rance. On annonce aujourd’hui le volet Ville. N'aurait-il pas été plus futé d’inverser l’ordre des choses : l' autorité exigée puisque la vie va changer ? ».


Isabelle Santiago : « Sans un plan global pour la jeunesse, je doute que l’on puisse être efficace »

La députée socialiste du Val-de-Marne partage également un point de vue critique sur le plan anti-émeutes du gouvernement : « Sur ces sujets que nous sommes quelques-uns à bien connaître par nos parcours dont humblement le mien en qualité d’élue et vice-présidente chargée de la prévention et protection de l’enfance et prévention spécialisée et ce durant de nombreuses années, je trouve surprenant et regrettable que la prévention ne soit pas portée dans ce plan annoncé, ni que nous ayons été consultés pour apporter la réflexion et l’expérience des territoires. Il faut comprendre que l’ensemble des problématiques posées sont multi factorielles sur ces jeunes, aussi, sans un plan global pour la jeunesse, je doute que l’on puisse être efficace.

Le médico-social est absent de la réflexion, la prévention spécialisée non citée alors qu’il faudrait investir fortement sur le champ du lien éducateurs de rue, famille, quartier, éducation nationale, tous en lien pour repérer les jeunes en voie de marginalisation. Rien non plus sur les CLSPD [Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, ndlr] et réunions départementales de lutte contre la délinquance. L’urgence me semble être le repérage dès le plus jeune âge des enfants en danger au sens du Code civil ainsi que la mise en place sur l’ensemble des territoires de l’accompagnement à la parentalité, du nécessaire travail pluridisciplinaire pour accompagner les familles les plus vulnérables.
Il reste un chemin, dont le partage et l’analyse ».


Claude Roméo : « Des solutions basées uniquement sur le répressif »

Enfin, Claude Roméo, directeur départemental honoraire Enfance et Famille de la Seine-Saint-Denis) et ancien conseiller technique auprès des ministres de l’Enfance déclare à son tour être « en complet accord avec les propos d’Isabelle Santiago sur l’importance de la prévention qui ne représente que 2,3 % des dépenses de la protection de l’enfance alors qu’elle était au cœur de la loi du renouveau de la protection de l’enfance du 5 mars 2007… ».

Parmi les premiers à réagir aux annonces de la Première ministre, l'ancien président de l'ANDASS (Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé) ne mâche pas ses mots : « Je viens de lire les propositions d’Élisabeth Borne, Première ministre, sur la responsabilité parentale qui ressemblent plus à l’autorité parentale… En effet, au lieu de soutenir les parents dans l’exercice de la responsabilité parentale, sur le rôle éducatif, sur l’évolution des familles monoparentales, recomposées. Non la Première ministre propose des solutions basées uniquement sur le répressif : encadrement d’enfants dans des établissements avec des militaires… travaux d’intérêt général pour les parents !!!
Bref de quoi faire une surenchère pour rassurer la droite et l’extrême droite !! Sarkozy nous avait habitués en 2007 à supprimer » les racailles » on voit le résultat 16 ans après ! Je conseille à Madame Élisabeth Borne de lire la contribution de Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog du journal le Monde sur l’autorité parentale... elle notera que les opérations saupoudrages qu’elle propose ne régleront rien une fois de plus ! ».


Lire également

Post-émeutes : les desiderata des professionnels de la prévention spécialisée
Quatre mois après les émeutes qui ont embrasé le pays suite à la mort, le 27 juin, de Nahel, un jeune tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine), Élisabeth Borne présente, ce jeudi 26 octobre, les mesures « régaliennes » du gouvernement.